Une conception « activiste » du sacerdoce ministériel
Pour une réforme à venir de l’Église, la remise en valeur du sacerdoce au sein d’une société post-chrétienne sera un élément-clé. Malmené de bien des manières par la sécularisation, il peine aujourd’hui à retrouver son identité profonde. Or, l’une des surprises que soulève l’examen impartial des textes du dernier concile est que celui-ci a omis d’en traiter ontologiquement, tellement le thème de ses rapports avec le sacerdoce commun des baptisés était à l’époque prégnant, oubli que prolonge le discours du Pape François sur ce thème.
Dans le présent article, Mateusz Markiewicz, membre de l’Institut du Bon Pasteur, résume la conférence qu’il a prononcée lors des Rencontres théologiques de Courtalain sur le thème : « Quelle pastorale 50 ans après Vatican II ? », en juin 2018, conférence qui avait pour titre « Sacerdoce commun des fidèles et sacerdoce ministériel dans les enseignements du pape François » et qui sera publiée avec l’ensemble des Actes du Colloque, aux éditions Via Romana, en janvier 2019. Le présent texte est publié avec l’aimable autorisation des organisateurs des Rencontres.
Abbé Mateusz Markiewicz
Le style de prédication du Pape François est très simple, court et centré sur l’action. En ce qui concerne le sacerdoce, le Saint-Père consacre beaucoup de ses discours à donner des conseils aux prêtres, voire à leur faire des reproches. Mais on peut dire que les documents conciliaires sont l’âme de la pensée théologique de l’évêque de Rome. Selon Lumen gentium (n. 10) et Presbyterorum ordinis (n.2), le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, qui ont entre eux une différence essentielle et pas seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre, car ils participent, chacun selon son mode propre, de l’unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal qu’est l’Église, pour faire, en la personne du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles quant à eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, leur renoncement et leur charité effective.
Il est donc rappelé de manière classique qu’on devient presbytre pour être au service du peuple sacerdotal, sous l adirection de l’évêque. « [L]e Christ a envoyé ses Apôtres comme le Père l’avait envoyé, puis, par l’intermédiaire des Apôtres, il a fait participer à sa consécration et à sa mission les évêques, leurs successeurs, dont la fonction ministérielle a été transmise aux prêtres à un degré subordonné : ceux-ci sont donc établis dans l’Ordre du presbytérat pour être les coopérateurs de l’ordre épiscopal dans l’accomplissement de la mission apostolique confiée par le Christ. » (PO, 2, § 1, 2).
Mais l’insistance sur la notion de service se fait au détriment de la dimension ontologique, qui conditionne le service. Nous sommes dans le domaine de l’agir bien plus que dans celui de l’être, qui est certes traité par le Concile, mais pas comme son objet principal. Le caractère sacramentel est certes mentionné, mais non approfondi (cf. LG, 21, § 2).
La vision du Pape François s’inscrit dans cette perspective prioritaire de l’agir, qui est celle du Concile. Le Souverain Pontife parle souvent aux prêtres, en leur présentant sa vision de la tâche du pasteur. Mais les interventions du pape François dans lesquelles on peut trouver un enseignement sur la nature du sacerdoce sont rares. Les homélies que le pape prononce pendant les cérémonies d’ordinations presbytérales et épiscopales sont des monitions tirés du Pontifical, auxquelles le pape ajoute parfois quelques mots personnels. Le Pontifical et le Pape affirment que le Fils de Dieu est le seul prêtre. En même temps, ils soulignent que tous les chrétiens possèdent une dignité sacerdotale. Mais cette dignité n’est pas la même chez tous. Certains, de par le choix du Seigneur lui-même, doivent exercer l’office sacré. Cette activité est une continuation de la mission du Sauveur, faite au nom de l’Église. « Ils [les ordinands] seront en effet configurés au Christ, Souverain et Éternel Prêtre. Ils seront consacrés des vrais prêtres du Nouveau Testament, et à ce titre, qui les unit dans le sacerdoce à leur évêque, ils seront prédicateurs de l’Évangile, pasteurs du Peuple de Dieu et ils présideront les actes du culte, spécialement dans la célébration du sacrifice du Seigneur » (Omelia del Santo Padre Francesco, Santa Messa con ordinazioni sacerdotali, 22 avril 2018). Le caractère pastoral du ministère presbytéral est mis en avant, sans qu’on lui donne des bases profondes dans l’être même de la personne, changé par la réception du sacrement de l’Ordre. Parmi les autres prises de parole sur ce sujet, il y a l’allocution du pape à la Conférence épiscopale italienne, prononcée le 16 mai 2016, qui est consacrée aux prêtres et à leur formation : « Le prêtre est tel dans la mesure où il se sent appartenir à l’Église, à une communauté concrète dont il partage le chemin. Le peuple fidèle de Dieu demeure le sein dont il est extrait, la famille dans laquelle il est impliqué, la maison dans laquelle il est envoyé. Cette appartenance commune, qui découle du baptême, est le souffle qui libère d’une autoréférentialité qui isole et emprisonne » (Pape François, Réformer l’Église, Paris, Bayard, 2018, p.306). Ce lien entre le pasteur et le peuple est mis aussi en avant par la Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (Bayard-Mame-Cerf, 2017), qui est un document servant à la formation des futurs prêtres. Le document n’évoque pas une fois le caractère sacramentel qui modifie l’être même de l’homme et le dispose à accomplir certaines actions que ceux qui sont dépourvus de ce caractère ne peuvent pas faire. Cela est au moins surprenant de la part d’un document qui veut donner une vision théologique du sacerdoce (cf. n. 30-40).
La théologie dont hérite le Pape François, qu’il développe et met en application au sujet de la formation de prêtres, est donc essentiellement centrée sur l’activité du sacerdoce ministériel pour le bien du peuple sacerdotal. Les ministres ordonnés doivent servir les membres du peuple sacerdotal de Dieu, en communion avec l’évêque, le premier pasteur dudit peuple. Cette vision a été intégrée par les homélies de la liturgie d’ordination, l’enseignement du pape actuel et enfin par le document qui guide aujourd’hui la formation des futurs prêtres.
Sans l’oublier, a été mis de côté le caractère sacramentel imprimé dans l’âme par l’Ordre. Le manque de réflexion sur ce dernier risque de faire voir le prêtre uniquement à la lumière de son action, celle du pasteur du peuple de Dieu. En revanche, une théologie du sacerdoce qui partirait du caractère sacramentel, l’élément constitutif de l’être sacerdotal et en conséquence de son agir, nous aiderait à avoir une vision plus globale du ministère ordonné. Elle serait d’une grande utilité pour la formation des futurs prêtres et la sanctification de ceux qui ont déjà reçu le sacrement de l’Ordre. En leur rappelant à quelles fonctions ils aspirent, ou qu’ils ont reçues, cette théologie leur proposerait en même temps des exigences, celle de la sainteté personnelle en premier lieu. N’est-ce pas en formant des prêtres saints, soucieux de la gloire de Dieu et du salut des âmes, que l’on pourra accomplir une vraie réforme de l’Église et arriver à la finalité de l’activité pastorale, amener toutes les brebis aux pâturages éternels du Père qui a envoyé son Fils pour les sauver avec l’aide constante du Saint-Esprit ?
Abbé Mateusz Markiewicz