Crise et avenir du christianisme selon Andrea Riccardi
Le présent article a été initialement publié sur le site de L’Homme nouveau.
Le livre d’Andrea Riccardi, L’Église brûle. Crise et avenir du christianisme[1], considère l’incendie de Notre-Dame de Paris comme une parabole de la situation du catholicisme. L’auteur se souvient de « l’optimisme et de la passion [qui] ont marqué les années qui ont suivi le Concile ». C’était l’époque du rêve. Mais aujourd’hui la réalité est là, violente : certains (Emmanuel Todd, Hervé Le Bras, Jérôme Fourquet) ont cru pouvoir parler de « crise terminale » du catholicisme.
Andrea Riccardi n’est pas un intervenant secondaire au sein du catholicisme italien et mondial. Il est le principal fondateur et la première personnalité de la puissante et influente Communauté de Sant ’Egidio, fondée en 1968 (définitivement en 1973), établie dans l’église Sant ‘Egidio, à Rome, quartier du Transtevere. Cette Communauté vouée au service des plus pauvres, est montée en puissance dans les années 1980 en s’engageant dans le dialogue interreligieux et le travail pour la paix, jusqu’à exercer une action diplomatique internationale. Présente dans 70 pays, on la qualifie d’« ONU du Vatican », avec ses 50.000 adhérents dont les plus actifs sont dits les « casques blancs » du pape. L’historien Émile Poulat, ami de Riccardi, et créateur du Fonds Émile et Odile Poulat-Sant ’Egidio-France, aimait à dire qu’elle représentait un des canaux de « la diplomatie de l’ombre » du Saint-Siège. Ainsi, entre autres, a-t-elle joué un rôle efficace de médiation dans les négociations entre le gouvernement du Mozambique et le parti de la résistance armée, mais aussi au Burundi, au Guatemala, au Liban, en Côte d’Ivoire, au Libéria. Bref, Andrea Riccardi, qui a d’ailleurs été ministre de la Coopération internationale dans le gouvernement Monti, est une personnalité politique et religieuse (en Italie c’est encore possible) de poids.
C’est au point que, lors des dernières élections à la présidence de la République italienne, qui ont vu finalement Sergio Mattarella porté au Quirinal, il était considéré comme un quirinabile très sérieux. Cet homme, qui n’est assurément pas de droite mais s’est très bien accommodé des papes Wojtyla et Ratzinger et qui se veut inclassable – on le dirait en France de centre-gauche – passe en revue l’état moribond ou très inquiétant selon les cas du catholicisme en divers pays, France, Italie, Espagne, Portugal, Allemagne, Pologne et Slovaquie où il résiste encore, Hongrie et Tchéquie où il décline rapidement. Riccardi, sans apprécier le moins du monde le modèle du « national-catholicisme » qui réapparaît à l’Est, tant catholique qu’orthodoxe (national-orthodoxe, si on veut), remarque d’ailleurs que François, pape complexe, manifeste une certaine convergence avec le patriarche Kirill de Moscou rencontré à La Havane. Mais si le « national-catholicisme » appartenait au passé après le Concile, la démocratie chrétienne, qui était alors le présent majuscule, appartient aujourd’hui au passé.
Le constat de faillite est impressionnant : effondrement du monde des religieux et des religieuses, phénomène dont on minimise l’importance en se focalisant sur la crise des séminaires et l’évanouissement de la pratique ; rupture profonde que constitue la dévaluation du caractère normatif du magistère (emblématiquement, la norme d’Humanæ vitæ, annihilée dès que promulguée en 1968) ; la dévalorisation de la mémoire imprudemment orchestrée par le « néo-tridentinisme conciliaire » des clercs de l’après-Vatican II qui méprisaient la sensibilité « retardataire » du peuple chrétien (Riccardi, tout en précisant qu’il n’a aucune nostalgie pour la liturgie ancienne, donne l’exemple de la réforme de Paul VI).
Mais alors, quel avenir ? Andrea Riccardi reste dans l’ordre de généralités par lesquelles il tente de se raccrocher à « l’enthousiasme » – un mot qui revient souvent sous sa plume – de ses jeunes années postconciliaires. De Jean-Paul II, qui a finalement échoué, il faudrait retrouver « la capacité à être charismatique » ; de Benoît XVI, dont le pontificat semble se résumer à l’échec manifesté par sa renonciation, on devrait conserver les réflexions sur les « minorités créatrices » ; de François, pour lequel « de nombreux catholiques sont passés de l’enthousiasme à la désillusion », il conviendra de retenir l’affirmation que l’Église doit être l’Église des pauvres [ce qui, pour le coup, serait une affirmation très traditionnelle si le discours bergoglien n’inclinait vers ce qu’on pourrait appeler un démago-catholicisme]. On notera au passage cette information assassine : le cardinal Martini, ex-cardinal jésuite de Milan, figure emblématique du catholicisme ouvert, s’était dit défavorable à l’élection de son confrère jésuite de Buenos-Aires au cours d’une conversation avec Riccardi (tenue vraisemblablement en 2005).
Au traditionalisme et à leurs alliés conservateurs, auxquels A. Riccardi, spécialiste des jeux d’influence, reconnaît « une certaine importance », il reproche ce qu’il considère comme une erreur : « mettre l’accent sur l’élection du pape » et essayer d’influencer le futur conclave (il donne l’exemple de deux livres portant tous deux le même titre The Next Pope, des Américains Edward Pentin et George Weigel), ce qui est selon lui une « naïve simplification face à des dynamiques plus complexes ». Mais la preuve qu’il donne, à savoir le fait que l’élection de Paul VI a été finalement obtenue par le report de voix conservatrices comme celle d’Ottaviani, montre que c’est plutôt ce point en effet décisif qu’est l’élection du pape qui résulte d’une dynamique complexe.
En conclusion : « Il faut avoir le courage de libérer des énergies constructives et créatives en communiquant l’Évangile, de les susciter, de donner confiance et d’apporter son soutien à des réalités ecclésiales différentes, même imparfaites » [c’est nous qui soulignons]. Riccardi pense spécialement aux néo-catéchumènes, qui ne sont pas exactement sa tasse de thé, comme on dit. La solution ne viendra pas « de la seule initiative des évêques », mais il faut que ceux-ci « accompagnent, suscitent et fassent grandir ».
Riccardi se place ainsi dans la ligne de ce programme informel et réaliste pour un prochain pontificat, sur laquelle semble se positionner une partie de ceux qui se sont retrouvés sous la bannière bergoglienne : accompagner tout ce qui manifeste encore vie et vigueur et fédérer ces « énergies » dans une « communion » apaisante et libérale. On ne peut pas ne pas penser à l’alter ego ecclésiastique d’Andrea Riccardi, le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne, aujourd’hui Président de la Conférence épiscopale italienne, pour lequel François, le faisant cardinal en 2019, eut l’attention de créer un nouveau titre cardinalice… celui de l’église Sant ‘Egidio au Transtevere. Matteo Zuppi qui, au nom de cette ligne en quelque sorte libérale et fédérative, a pris récemment le risque d’ouvrir le pèlerinage Summorum Pontificum à Rome. Les cardinaux conservateurs, qui regardent le cardinal Zuppi avec des sentiments très mélangés, plaisantent : « Si Zuppi est pape, Riccardi sera le vrai Secrétaire d’État ». Raison de plus pour lire attentivement son livre. On ne sait jamais.
Abbé Claude Barthe
[1] Cerf, 2022, 328 p. 22€. Édition italienne : La Chiesa bruscia, Laterza, “Tempi nuovi”, 2021.