15/04/2020

La messe est-elle aujourd’hui interdite en France ?

Par l'abbé Claude Barthe

Une rumeur répandue sur médias et réseaux assurait que le prêtre officiant dans la soirée du Samedi Saint, 11 avril, à Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, pour la vigile de Pâques et la messe de la vigile, devant une poignée de fidèles, avait été verbalisé par un officier de police intervenant sur dénonciation. En fait, l’abbé Petrucci, responsable de l’église et célébrant, ayant expliqué ses droits, a subi une sorte de semonce, mais n’a pas encore été verbalisé. Les fidèles présents non plus, dont les identités n’ont pas été relevées.

Un scénario identique (mais avec verbalisation cette fois des fidèles présents) s’était produit le dimanche de Lætare, le 19 mars, dans un lieu de culte catholique de province. Il n’est pas exclu que d’autres velléités d’attentats à la célébration du culte puissent se manifester en France durant la période dite de confinement ordonnée par les pouvoirs publics en raison de l’épidémie sévissant actuellement.

En premier lieu, il convient de rappeler avec force les droits sacrés du culte divin : les messes et cérémonies catholiques peuvent toujours être célébrées en vertu de la liberté de l’Église, qu’aucune loi ne saurait restreindre, à condition de respecter les règles et les précautions élémentaires d’hygiène qui relèvent du service du bien commun.

Et du point de vue très concret du système pénal français, il faut rappeler les points suivants :

1/ Le texte en vigueur à ce jour visant expressément les cérémonies du culte est le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, pris en application de la loi 2020-290 du 23 mars 2020. L’article 8 – IV de ce décret précise :

« Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes ».

Ce texte n’est pas d’une parfaite clarté, mais on peut en inférer que, bien que les églises puissent rester ouvertes et que les fidèles puissent les fréquenter sans s’y « rassembler », seules y seraient permises les cérémonies funéraires. Les messes sembleraient donc être des « réunions » interdites. Et pourtant, il est régulièrement rappelé par le Conseil Constitutionnel que « le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » et que la République doit garantir le libre exercice des cultes.

-2/ Généralement, lorsqu’une contravention est constatée, le prévenu (ici le prêtre célébrant ou un fidèle assistant à l’office), dont l’identité a été relevée, reçoit à son domicile l’injonction de payer l’amende dans les 45 jours. S’il le fait, il reconnaît sa faute : il est donc très important qu’il ne paye pas. Car il peut contester la légitimité de la peine infligée (amende) en écrivant à l’OMP (officier du ministère public) et en donnant les éléments qui appuient sa requête (par exemple, des attestations de témoins prouvant qu’il n’y a pas eu de rassemblement caractérisé).

3/ Le Parquet peut alors :

– classer sans suite.

– demander la mise en œuvre d’une procédure simplifiée, c’est-à-dire une ordonnance pénale d’un juge qui, sans débat contradictoire, prononcera la relaxe ou infligera une amende. Ordonnance contre laquelle le prévenu pourra faire opposition dans les délais.

– ou encore renvoyer l’affaire au tribunal de police en procédure ordinaire (à noter que le prévenu aurait pu aussi demander lui-même l’accès au juge).

4/ Le juge connaît alors de l’affaire (c’est-à-dire, en réalité, qu’il en connaîtra dans de longs mois), le prévenu pouvant alors faire valoir son argumentation sur les faits et le droit.

Mais en outre, au regard des lois sur la laïcité républicaine, il pourrait être soulevé l’inconstitutionnalité de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 dans ses dispositions à l’origine du décret adopté le 23 mars 2020, dans la mesure où la loi et l’application qui en est faite pourraient être interprétées – horresco referens ! – comme interdisant, à l’encontre des principes de la laïcité de l’État, une cérémonie du culte répondant par ailleurs à toutes les conditions de sécurité et d’hygiène. Le juge saisi pourra accepter de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui serait déposée par un écrit séparé. Si la QPC n’était pas transmise à la Cour de Cassation, suivant le recours ouvert au prévenu qui aurait été condamné, la QPC pourrait alors être à nouveau être déposée en appel (si cette voie de recours est ouverte ou en Cassation, si seul un pourvoi peut être introduit).

On peut, en effet, s’interroger sur la proportionnalité de la mesure attentatoire à une liberté individuelle (notamment, pour le fidèle de pratiquer un culte, et pour le célébrant d’exercer son « activité ») fondant la verbalisation et l’objectif poursuivi. Ainsi, pour chaque infraction verbalisée, il faudra examiner si les circonstances de temps et de lieu justifiaient le maintien de pareilles restrictions.

Car en définitive, pour quels motifs, au nom de quels principes, les cérémonies du culte devraient être aujourd’hui moins bien traitées que les achats dans les supermarchés, les boulangeries et les bureaux de tabac ?…