24/06/2023

Mgr Dominique Rey, l’évêque coupable d’être non conforme

Par Rédacteur

D’un jour à l’autre va tomber la foudre sur Mgr Dominique Rey, que le pape devrait probablement priver de ses facultés épiscopales en le flanquant d’un coadjuteur muni de « pouvoirs spéciaux ». Il est coupable, gravement coupable, d’avoir fait de son diocèse un carrefour de courants traditionnels et charismatiques, un havre pour jeunes prêtres non conformes, avec un séminaire florissant, un clergé jeune de 250 prêtres en activité, des curés et vicaires pour tous les clochers. Ce n’est pas supportable ! Au terme d’une impitoyable chasse à courre menée par Rome, le nonce, les évêques confraternels, les cors s’apprêtent à sonner la curée. Un peu vite peut-être. L’évêque de Fréjus-Toulon n’est pas encore mort.

Un prêtre de la génération Jean-Paul II

Dominique Rey est né en 1952 à Saint-Étienne, dans une famille catholique de sept enfants (une de ses sœurs exercera de hautes fonctions chez les Sœurs de Saint Joseph de Cluny). Diplômé d’une maîtrise en économie politique et docteur en économie fiscale, il effectua en 1975 et 1976 une coopération au ministère tchadien des Finances. Il y découvrit le pentecôtisme enflammé du pasteur Jacques Giraud (évêque, il s’intéressera à la « megachurch » du baptiste californien Rick Warren). À Paris, devenu inspecteur des impôts au ministère des Finances, il découvrit la communauté de l’Emmanuel fondée en 1972, dont il devient membre de la première génération.

Il décida de devenir séminariste pour le diocèse de Paris, mais pas dans le séminaire alors très progressiste de NNSS Marty et Gilson, mais dans une communauté accueillie par les dominicains de la rue du Faubourg-St-Honoré. Il est ordonné en 1984, comme membre de l’Emmanuel, pour le diocèse de Paris devenu lustigérien. Nommé au lycée Stanislas, dont l’aumônerie était à l’époque confiée à l’Emmanuel, il devint ensuite supérieur des chapelains de Paray-le-Monial, plaque tournante des activités débordantes de la Communauté, prêtre accompagnateur de ses séminaristes. Il revint  Paris, en 1995, nommé curé de la grosse paroisse de la Trinité à Paris, confiée à l’Emmanuel, dont le public très nombreux est comparable en âge, familles nombreuses, à celui des églises traditionalistes. Il dynamise les assemblées liturgiques – dans un sens plutôt classique – et les nombreuses activités, notamment le célèbre « café chrétien » en plein quartier de Pigalle.

Le nonce Baldelli, désireux de protéger le séminaire de la Castille qui a été relevé dès 1983 par Mgr Joseph Madec, nomma en 2000, Dominique Rey, 48 ans, évêque de Fréjus-Toulon, avec comme feuille de route : faire prospérer le grand séminaire.

Un évêque qui a compris la force des tradismatiques

« Mgr Rey, le start-uppeur de l’évangélisation », titrait dans Les Jours du 13 juin dernier, Timothée de Rauglaudre, qui expliquait : « Le charismatique évêque a fait de son diocèse de Fréjus-Toulon un labo de rechristianisation à l’américaine sur fond d’idées conservatrices. » Bref, il serait le meilleur utilisateur de ces fameux tradismatiques, dont la posture est ainsi analysée par Gaël Brustier dans un article pour la Fondation Jean-jaurès (https://www.jean-jaures.org/publication/les-tradismatiques-a-lassaut-du-pouvoir/) : « Les tradismatiques ont hérité des “tradis” un vif intérêt pour la politique et des “chachas” une assurance qui leur permet d’aller vers les autres assez facilement. En 2013, les tradismatiques apparaîtront comme les petits frères de la “génération Jean-Paul II”, rassemblée aux JMJ de 1997, et comme la génération Benoît XVI rassemblée à Madrid pour l’édition de 2011 des JMJ. » Mgr Rey les a parfaitement compris : « Monseigneur Dominique Rey n’est en rien un traditionaliste. Soulignons-le. Vrai charismatique, évêque de choc catholique, entrepreneur politique hors pair, il est le fer de lance d’un catholicisme français qui a décidé de ne plus transiger sur rien. Intellectuel, missionnaire et organisateur, fin politique aussi, il a pressenti et ressenti mieux que quiconque probablement au sein de l’épiscopat français ce que représentait de force et de puissance un esprit diffus et répandu : l’esprit tradismatique… »

Un évêque de « reconquête catholique », disait Le Point du 3 novembre 2017, qui veut implanter l’Église en évangélisant dans les discothèques et sur les terrains de sports, tout en présidant des processions traditionalistes dans les quartiers musulmans de Toulon. Il sort par les yeux de la revue Golias, quilui attribue deux bonnets d’âne dans son Trombinoscope, et qui s’étrangle du fait que son Observatoire socio-politique, dirigé par l’abbé Louis-Marie Guitton, ait convié Marion Maréchal à l’édition 2015 des Universités d’été de la Sainte-Baume. Et encore Golias ne sait pas que Mgr Rey a marié l’héritier des Orléans et qu’il est comme le chapelain de familles catholiques du Gotha qui soutiennent elles aussi volontiers les tradismatiques.

Le Point faisait parler l’un de ses collaborateurs – l’abbé de Boisgelin, dont les ancêtres ont fait les croisades – qui le loue, mais en nuances, à l’ecclésiastique : « Quand on travaille avec lui, il faut accepter cette pauvreté d’esprit qui consiste à changer d’idées quand il change d’idées. […] Dans notre diocèse, il y a un accueil de toutes les façons de vivre sa foi, personne n’est sur la touche, c’est riche, même si parfois ça bouscule. »

Et en effet, ça bouscule et ça se bouscule, l’évêque prenant des risques, y compris financiers, ouvrant largement les portes, accueillant une grosse vingtaine de communautés nouvelles, charismatiques brésiliennes, mais aussi traditionalistes, comme les Missionnaires de la Miséricorde divine, dont l’église Saint-François de Paule devint le siège d’une paroisse personnelle traditionnelle au centre du vieux Toulon, c’est-à-dire de la ville musulmane, communauté qui se voue d’ailleurs à l’évangélisation des musulmans.

L’évêque « fait son marché » sans complexe dans les communautés d’Amérique latine, mais aussi dans les communautés traditionnelles, de sorte que le nombre de ses séminaristes dans le séminaire de la Castille, domaine viticole proche de Toulon, où voisinent jeans et soutanes, mais aussi placés dans des communautés hors du séminaire, a dépassé le chiffre de 90 certaines années.

Summorum Pontificum, en 2007, fut fort bien accueilli à Fréjus-Toulon. C’est même le seul diocèse de France où le motu proprio était vraiment appliqué, c’est-à-dire où les curés de paroisse avaient toute liberté pour dire la messe traditionnelle, à la demande de « groupes stables », sans en référer à l’évêque, et bien entendu à Rome. C’était avant la synodalité…

Benoît XVI eût pu transférer Mgr Rey dans un plus grand diocèse pour étendre son expérience, voire le nommer cardinal. Il se contenta, en 2008, de nommer Marc Aillet, vicaire général de Fréjus-Toulon, membre de la Communauté Saint-Martin, poussé par Mgr Rey, évêque de Bayonne. 

À l’épreuve du bergoglionisme

Le climat changea comme on sait dans l’Église à partir de 2013. Ce fut une sorte de refroidissement climatique pour les diocèses, les communautés et les séminaires prospères, qualifiés dès lors « cléricaux », lieux dangereux à supprimer. À Albenga, en Italie, l’évêque a été ainsi poussé à la démission par la nomination à ses côtés d’un coadjuteur auquel étaient donnés les pleins pouvoirs de gouverner le diocèse. À l’évêque très classique de San Luis, en Argentine (« Vous avez dit Amoris lætitia ? Pas entendu parler, rien de changé chez moi ! »), le pape a demandé sa démission. L’évêque de Ciudad del Este, au Paraguay, a été démis, et son très florissant séminaire Saint-Joseph, remis au pas. À San Rafael, en Argentine, un autre séminaire, de ligne trop « rigide », fermé.

Du coup, les plus critiques des confrères français de Mgr Rey se sentirent pousser des ailes. Les « interrogations » faites par les congrégations romaines à l’évêque se multiplièrent, car avec un tel nombre de jeunes communautés, il y a forcément matière à crises et dysfonctionnements. Le 11 janvier 2020, pour la première fois depuis l’ère Jean-Paul II était nommé nonce en France un progressiste déterminé, Mgr Celestino Migliore. Le 3 mai 2020, par courriel, un coup de poignard était donné à l’évêque, sous la forme d’une lettre publique de l’abbé Arnaud Adrien, ancien recteur du Séminaire de la Castille, tout le contraire d’un gauchiste mais auquel le traditionalisme donne de l’urticaire, adressée aux doyens, aux membres du conseil presbytéral, aux chanoines, à Mgr Aveline, métropolitain, à Mgr Beau, chargé des séminaires à la Conférence des Évêques, lettre autrement dit destinée à courir dans les évêchés de France et les dicastères de la Curie romaine. Elle porte une seule accusation : Mgr Rey est coupable de donner à son séminaire « une ligne de plus en plus traditionaliste » et ce sans concertation, notamment avec les vicaires généraux. La preuve : le renvoi de l’abbé Mallard, professeur très « ouvert » de théologie fondamentale, par l’abbé Dubrulle, des Missionnaires de la Miséricorde, nommé préfet des études à La Castille.

Les événements vont dès lors se précipiter, qui plus est dans l’ambiance Comité de Salut Public de la préparation puis de la parution de Traditionis custodes destiné à anéantir les partisans de la liturgie traditionnelle. Mgr Rey eut à s’expliquer devant une sorte de tribunal présidé par le cardinal Stella, Préfet alors tout puissant de la Congrégation pour le Clergé, et devant les principaux membres de sa Congrégation, notamment Mgr Mercier, Secrétaire de la Congrégation, et le très redoutable Louis Menvielle, membre de l’Institut Notre Dame de Vie. Il s’ensuivit, toujours en 2020, une « visite amicale » du futur cardinal Aveline, archevêque de Marseille, métropolitain de Fréjus-Toulon, diligentée par la Congrégation pour les Évêques, du cardinal Ouellet, Jean-Marc Aveline, vieil ami de Mgr Rey, essaya de jouer les médiateurs, inspirant une « charte » qui permettrait de mieux discerner les vocations qui se présentent.  

Mais Rome, qui avait décidé la mort, s’étonnait de la résistance de l’évêque, qui ne démissionnait pas comme ses pairs d’Albenga, San Luis, parlait de « dialogue » avec la CEF et Rome, et lâchait quelques sacs de sable pour faire remonter son dirigeable.

C’est alors que tomba cette nouvelle stupéfiante : le cardinal Ouellet interdisait les ordinations auxquelles devait procéder Mgr Rey en juin 2022. Comme pour l’offensive de Traditionis custodes, le monde catholique conservateur s’émut : « La décision inédite, prise par Rome, de “suspendre” des ordinations sacerdotales qui devaient être célébrées le 26 juin par Mgr Rey, sème le trouble dans l’Église catholique », écrivait Jean-Marie Guénois dans le Figaro du 3 juin 2022. « De mémoire de théologiens et d’évêques, on n’a jamais vu dans l’Église catholique, une telle sanction. Car il faut bien appeler la suspension – ordonnée par Rome – des ordinations sacerdotales prévues le 26 juin dans le diocèse de Fréjus-Toulon, sanction. C’est-à-dire, un moyen brutal d’imposer à l’évêque local, Mgr Dominique Rey, 69 ans, en charge de ce lieu depuis vingt-deux ans, un message romain. » Les journaux conformes comme La Vie, manifestement mis au parfum par les bureaux de Ouellet, énuméraient pendant ce temps les « dysfonctionnements ». Le principal étant « la restructuration du séminaire et la politique d’accueil dans le diocèse ». Trop de place pour les tradis.

Et le 13 février 2023, débuta une visite canonique, une vraie cette fois, faite pour tuer, sous la conduite de la Congrégation pour les Évêques, avec deux visiteurs, les plus hostiles qui soient à l’évêque du lieu, Mgr Antoine Hérouard, ancien secrétaire général de la CEF, ancien recteur du séminaire français de Rome, ancien délégué apostolique pour le sanctuaire de Lourdes (dont il convenait d’écarter le « clérical » Mgr Brouwet), depuis peu archevêque de Dijon, et Mgr Joël Mercier, ancien Secrétaire du Dicastère pour le Clergé, connaissant admirablement bien le dossier Rey. Personne ne doutait du fait que le rapport qui conclurait permettrait au minimum de faire de Mgr Rey un évêque-potiche, sans pouvoir. Puisque décidément il ne voulait pas démissionner.

Un « scandale ecclésial »

« Le mot “scandale ecclésial” est fort, tonnait Jean-Marie Guénois dans l’article précité,  mais il est justifié. Comment le Vatican et ceux qui ont avalisé cette décision qui vise a priori les options ecclésiales de l’évêque de Fréjus-Toulon peuvent-ils ainsi prendre en otages dix jeunes séminaristes [4 futurs prêtres, 6 futurs diacres] qui ne sont pas responsables du problème ? Il y a sans doute trop d’ordinations sacerdotales en France… » Et il poursuivait crescendo : « S’il y a, parmi les dix ordonnés, des cas litigieux, l’Église a tous les moyens de retirer l’agrément aux ordinants en question. S’il y a un problème de management de l’évêque, cette question peut être repérée et traitée comme telle. Mais le genre punition collective sur mode autoritaire ne passe pas dans la communauté catholique française. Y compris à sa gauche qui ne porte pourtant pas Mgr Rey dans son cœur et qui se dit surprise par la «violence» du procédé. Il ne faudrait pas que l’autoritarisme déploré par beaucoup au Vatican en cette fin de pontificat de François installe une sorte de terreur cléricale dans l’Église catholique au moment où l’on ne parle plus que de synodalité ! »

Il faut dire que la pensée catholique « de gauche » est devenue complètement déphasée par aux attentes de ce qui reste de peuple chrétien en France. Un questionnaire intitulé Synode sur la synodalité révélait que 92,9% des questionnés attendent prioritairement d’un prêtre qu’il dispense les sacrements, 87,6% sont favorables au célibat sacerdotal, 70% reprochent à l’Église de « ne pas assumer ses opinions et de taire la Vérité par peur de choquer », 74% attendent qu’elle promeuve « un modèle bioéthique assurant le respect intégral de la personne humaine, de sa conception à la mort naturelle », 70% qu’elle « défende la famille dans sa forme traditionnelle ». Bref, les catholiques qui pratiquent encore considèrent que la pensée ecclésiastique dominante a tout faux. Ce qu’avait compris Dominique Rey. Dans Les espaces du catholicisme français contemporain (Presses Universitaires de Rennes, 2021) Vincent Herbinet consacrait un chapitre entier à l’analyse du cas Fréjus-Toulon et à son évêque différent. Il parlait parlait de « quatrième voie », ni progressiste, ni intégriste, ni même « troisième voie » du type de celle du cardinal Lustiger dans les années 80-90. V. Herbinet, qui faisait « l’hypothèse qu’un militantisme catholique plus visible se profilerait dorénavant avec la problématique familiale, éthique et doctrinale », accordait à juste titre une importance décisive à l’articulation entre classiques et traditionalistes, et en faisait le point centralde la tentative Rey.

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C’était le point le plus subversif de l’ordre ecclésiastique établi et donc le principal chef d’accusation contre l’évêque de Fréjus-Toulon : en syntonie avec la réalité actuelle de ce qui reste de catholicisme français, Dominique Rey contribuait à effacer les frontières entre catholiques conservateurs et catholiques traditionnels. Pour Vincent Herbinet comme pour Jean-Marie Guénois, l’expérience Rey à Fréjus-Toulon, malgré ses faiblesses, était ainsi un laboratoire pour le futur.

Un évêque qui misait sur le futur de l’Église ? Les hommes du passé, à Rome et dans l’épiscopat français, ont voulu le lui faire payer.

(Article paru dans la Lettre 942 de Paix liturgique, du 19 juin 2023, ici reproduit avec l’aimable autorisation de Paix liturgique)