29/11/2019

Paganisme ou relativisme ?

Par Don Pio Pace

Une cérémonie, dont le ridicule ne semble avoir échappé qu’aux acteurs, mais cependant extrêmement significative, a eu lieu, on le sait, dans les jardins du Vatican, le 4 octobre dernier. Païenne? D’un paganisme folklorisé. Certes, les indigènes amazoniens amenés en séjour à Rome semblent plus authentiques que n’étaient les Indiens d’Amérique du Nord, recrutés, dit-on, par un office de tourisme, lors des rassemblements d’Assise, pour figurer les religions traditionnelles. Les Amazoniens ont-ils pour autant reproduit des cérémonies exprimant une religiosité définie, censée entrer en dialogue de prière avec le catholicisme ?

Un geste d’écologie intégrale…

Il s’agissait de faire un « geste visible d’une écologie intégrale ». Devant le Pape entouré de hauts prélats, une nappe de pique-nique avait été posée sur la pelouse, sur laquelle reposaient deux statuettes de déesses de la fécondité, une d’un dieu en situation peu correcte, et des objets symboliques divers. Prières à saint François, chants et danses amazoniens, discours de prélats, se succédèrent, avec prosternations tant de la vingtaine d’autochtones d’Amazonie que des religieux franciscains présents, pour embrasser la « Mère Terre » sur le gazon, autour de la nappe. Un chêne vert venu d’Assise fut enfin symboliquement planté avec de la terre venue des quatre coins du monde. En se signant, comme par réflexe, lorsqu’ils offrirent à la fin leurs colliers et statues en bois au Pape, les Amazoniens semblaient oublier qu’ils jouaient les derniers adeptes d’une antique religion locale.

Quelle religion, au fait ? L’Amazonie est un conservatoire de quelque deux cents peuples indiens qui vivent dans l’immense forêt, essentiellement au nord et à l’ouest, répartis en 300 tribus environ, pour une population d’un peu moins d’un million d’individus. Tous ces peuples ont été évangélisés par les missionnaires portugais et espagnols, mais leurs croyances, depuis le XVIe siècle, et surtout depuis le XXe siècle, sont très mêlées, le syncrétisme religieux étant une des grandes caractéristiques de l’Amérique latine d’aujourd’hui, du Brésil en particulier. En dessous du catholicisme, ou à ses côtés, on trouve des éléments multiples de croyances fort diverses, dont la caractéristique, lorsqu’on les analyse, est en définitive celle de l’animisme et des superstitions, à savoir de lier tyranniquement la raison humaine. Elles ont été mêlées, revues, remêlées sans cesse, y compris à de la religiosité afro-américaine, et à des chamanismes d’importation, greffés sur l’utilisation traditionnelle de substances hallucinogènes. Le plus important de ces cultes catholico-chamanistes, le Santo Daime, apparu au XXe siècle, utilise comme « sacrement » la boisson de l’ayahuasca, hallucinogène à base d’une liane.

En fait, les penseurs du Synode ont cherché à présenter et donc à confectionner une religiosité amazonienne globale. D’abord, parce qu’ils attribuent une représentativité générale à quelques individus qui, par le fait même qu’ils sont ce qu’ils sont, des membres de tribus très locales, ne représentent que celles auxquelles ils appartiennent. C’est d’ailleurs un de problèmes majeurs que rencontrent depuis Vatican II les instances qui organisent le dialogue interreligieux : avec quels religieux dialoguer ? et quelle est la représentativité de ceux que l’on parvient à convaincre de participer ? Avec la tendance à appliquer à des mondes totalement hétérogènes au catholicisme les schémas d’une Église hiérarchique avec son appareil dogmatique, qu’on pourrait qualifier de hautement sophistiqué en regard de toutes ces religions et religiosités, même les plus savantes.

Une entité divine unique

Dans cette religiosité rassemblée in unum, est insufflée une sorte de monothéisme, une manière d’entité divine unique, la « Mère Terre », comme le font les néo-païens occidentaux, dont la vague référence à des panthéons indo-européens disparus est en fait l’habillage d’une philosophie panthéiste un peu simpliste. En outre, ils ont infusé dans cette spiritualité amazonienne, rêvée par eux, une forte dose d’écologisme, pour le coup très moderne. Comme si les religions et cultures amazoniennes étaient une sorte de préparation écologique, permettant de rejoindre un catholicisme converti à l’écologie intégrale dans un fécond dialogue pour la sauvegarde de la planète. Mais surtout, en tentant de ranimer sous le catholicisme qui l’a recouvert, un paganisme que ce dernier n’avait malheureusement pas totalement remplacé, pour dialoguer avec lui, ils pratiquent une espèce de contre-évangélisation. Leur démarche est même, de facto, plus perverse encore, dans la mesure où le bricolage qu’elle représente, au sens que les sociologues du religieux donnent à cette expression, est fondé sur un relativisme religieux, en dernière analyse moderniste (il y a du vrai partout ; rien n’est vraiment vrai). Ce relativisme, ils le propagent, sans doute peu efficacement car il est douteux que leurs discours aient quelque influence sur les habitants de la forêt, en leur expliquant ce qu’ils sont et ce qu’ils croient. Non seulement, nos experts en Amazonie se refusent à rectifier ce que le catholicisme y peut avoir de mélangé, mais ils tendent à corroder les éléments de philosophie naturelle pouvant exister dans des mentalités pas encore trop touchées par les principes de la modernité.

Don Pio Pace