01/02/2019

L’être sacerdotal

Par Rédacteur

Les développements qui suivent sont extraits d’un article publié dans la revue Tu es Petrus, hiver 2019, pp. 63-70, sous le titre : « Le sacerdoce, état ou fonction ? »

Chanoine Laurent Jestin

C’est à l’autel de la messe qu’est la « source et [le] sommet de la vie chrétienne » (Lumen Gentium, n.11). C’est avec raison vers là qu’il faut regarder pour voir et connaître ce qu’est le prêtre. Le prêtre est médiateur entre Dieu et les hommes : le Saint Sacrifice de la messe est l’acte par lequel le culte qui lui plaît est rendu à Dieu, et les mérites du Sacrifice de la Croix sont appliqués aux fidèles. Et c’est bien le prêtre qui, là, agit in persona Christi : non selon le mode d’une représentation théâtrale, non comme le catalyseur de la foi et de la piété de l’assemblée, non pas encore parce qu’il serait investi, sur le moment, d’un pouvoir charismatique. Le prêtre n’est pas comme un acteur qui cesse d’être acteur quand il sort de scène ; il n’est pas seulement le président d’une célébration, sa fonction cessant lorsque la communauté se disperse, chacun retournant à son existence quotidienne ; et ce qui le fait agir ne lui est pas donné selon un mode extraordinaire et intermittent. Le prêtre agit comme tel, parce que d’abord il est tel : un prêtre. Son être a été objectivement transformé par le sacrement de l’ordination : le caractère, sceau indélébile et éternel. Tu es sacerdos in æternum secundum ordinem Melchisedech, « tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisedech », a-t-il entendu pendant la liturgie de son ordination. Avant que d’être l’instrument des actes sanctificateurs de la religion, il participe à l’être sacerdotal de Jésus-Christ, éternel et souverain prêtre ; et c’est bien cec iqui rend possible cela.

Médiateur entre Dieu et les hommes

En cette réalité qu’est la messe se tient la croix, l’incarnation rédemptrice de Jésus-Christ. Cela est vrai pour ce qui concerne le sacrement de l’eucharistie, ça l’est aussi pour ce qui regarde le prêtre, son être. Le pouvoir sacerdotal découle, par institution divine au soir du Jeudi-Saint, dans le sacrement de l’ordre, de l’être même du Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, et par là médiateur entre Dieu et les hommes, Summus Pontifex, pontife suprême, celui qui pose définitivement un pont sur l’abîme entre le Créateur infini et ses créatures finies et malheureusement tombées dans le péché, afin que se réalise le dessein premier de Dieu quand il créa l’homme : le rendre participant de sa vie bienheureuse. […]
Nous reconnaissons en Jésus-Christ, depuis sa conception dans le sein de la Vierge Marie jusqu’à sa mort sur la croix, le prêtre et la victime d’un sacrifice qui, s’il est bien celui de la Croix, se déploie en toute son existence terrestre. Quand il enseignait, guérissait, exorcisait, pardonnait, ses actions étaient sacerdotales. Et cela n’est pas sans conséquences quant à ce qu’est le prêtre.
Le rapport de l’être et de l’agir en Notre-Seigneur doit se retrouver en effet dans le prêtre, puisque ce qu’est le prêtre a sa source et son modèle dans le mystère du Christ. Dans le prêtre aussi, l’être précède et ordonne l’agir. Cela est parfaitement clair et impératif dans la célébration du culte. Les sacrements sont valides parce que, du côté du prêtre (sans oublier par ailleurs ce qui est requis pour la forme et la matière), il a le pouvoir sacerdotal de les conférer (et, le cas échéant, a reçu la juridiction pour ce faire) : c’est l’être. Et voici l’agir : il doit, de plus, avoir l’intention de faire ce que fait l’Église, ce qui se juge ordinairement par le respect des cérémonies du sacrement. Respect extérieur sans aucun doute, mais aussi intérieur. […]
Dans la vie ordinaire, il n’en ira pas tout à fait de même. Car c’est à titre de cause instrumentale que le prêtre agit dans les actes sacramentels par lesquels la grâce est dispensée aux fidèles. Au point, nous le savons, que le pouvoir sacerdotal reçu à l’ordination et l’intention au moment de la célébration suffisent à la validité du sacrement et à sa fructuosité dans l’âme de celui qui le reçoit. Dès lors, saint François d’Assise pouvait déclarer que s’il rencontrait un ange et un pauvre prêtre pécheur, ce sont les mains de ce dernier qu’il irait embrasser, car seules ces mains peuvent faire venir Jésus-Christ sur l’autel.

Des manières de prêtre

Les autres actes du prêtre, sa vie quotidienne, ne sont pas élevés à un niveau identique. Mais il est impensable qu’ils ne reflètent rien de l’être sacerdotal qui est le sien, impensable que cette révérence dans les choses du culte qui se déploie dans l’enseignement et le gouvernement ne se manifeste pas dans le cours de ses journées. Ce sera selon des manières et des intensités diverses : disponibilité constante, douceur, patience et humilité dans les relations, simplicité de vie et charité envers les indigents, acceptation des intentions de prières à lui confiées et la générosité à y consacrer temps et pénitence, chasteté dans les attitudes et les paroles…
[…] L’abbé Berto, fondateur de la Congrégation des Dominicaines du Saint-Esprit, qu’on ne saurait soupçonner de complaisance avec les idéologies modernes, avait mené une réflexion intéressante et intéressée sur la situation des prêtres-ouvriers. Et c’est bien sur l’être, le pouvoir reçu à l’ordination qu’il la fondait. Il écrivit, par exemple, ceci à un jeune prêtre de la Mission de France en février 1954, à l’époque de la condamnation romaine de l’expérience des prêtres-ouvriers : « Il est certain que le travail manuel n’est pas ex directo une fonction sacerdotale, mais qu’il peut être finalisé, de plus d’une manière, à l’exercice du sacerdoce ; autrement nos bons recteurs bretons ne pourraient même pas cultiver leur jardin, et il faudrait supprimer les Trappistes.» Il concluait sa lettre par ce cri désolé : « Hélas, tout cela était si facile à mettre en ordre, et il y avait quelque chose de si beau à faire ! »

Chanoine Laurent Jestin