Manif pour tous et ambiguïtés de la défense du mariage
Dans un contexte de rétrécissement social extrême du catholicisme, celui-ci a vécu en France, ces dernières années, comme un dernier sursaut : la légalisation du « mariage » homosexuel y a provoqué une opposition considérable à matrice catholique, structurée par la Manif pour tous (LMPT). À la différence des manifestations en faveur de l’École libre de 1984, pour lesquelles ils s’étaient fortement engagés, les organes de l’épiscopat français sont restés d’une grande prudence, et c’est individuellement qu’un nombre notable d’évêques a pris parti en faveur du mouvement de protestation, au premier rang desquels le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, ce qui explique peut-être les déchaînements postérieurs contre sa personne.
Si le courage de ces réactions épiscopales est à saluer, les explications de fond – qui auraient relevé de la théologie politique – sur le sens de cette opposition, ont été totalement absentes. Sauf un début de réflexion de ce type dans la bouche de Mgr Centène, évêque de Vannes, qui visait la doctrine classique de la légitimité et du bien commun : « Quelle attitude observer vis-à-vis d’un régime qui croit pouvoir bafouer le bien commun fondé sur le droit naturel ? » (Le Figaro, 14 décembre 2012).
Au moins s’imposait de clairement déterminer les motifs pour lesquels les catholiques, comme membres de la Cité, avaient à s’élever contre la loi Taubira. Ils avaient à savoir que leur opposition n’était pas l’exercice d’une liberté d’opinion démocratique, mais un devoir moral de résistance à une violence, qui n’était en aucune manière une loi. Car, « toute loi humaine instituée a valeur de loi dans la mesure où elle découle de la loi naturelle » (Somme théologique, Ia IIæ, q. 95, a. 2), de sorte que « les lois injustes sont beaucoup plus des violences que des lois » et qu’elles n’obligent pas (q. 96, a. 4).
En outre, l’explication attendue des pasteurs de l’Église devenait plus délicate, mais cependant nécessaire, en ce qui concernait, non ce qu’il fallait refuser, mais ce qu’il fallait défendre, à savoir une législation du mariage conforme au droit de l’Église. Avant même cette déformation caricaturale du mariage, étaient survenues dans le passé les lois sur le divorce, sur l’équivalence des filiations légitimes et illégitimes, et aussi, offensant la sainteté du mariage et de la famille, les lois sur la contraception, sur l’avortement, le Pacte civil de solidarité (PACS), organisant le « partenariat » de couple de sexes identiques ou différents.
Mais antérieurement encore avait été instaurée ce qu’il faut bien appeler une offense majeure à la liberté de l’Église : l’obligation faite aux catholiques (sous peine de sanctions pénales pour le ministre du culte) de se soumettre, avant de contracter le sacrement, qui seul a valeur pour eux, à une cérémonie civile de mariage, à défaut de laquelle aucun des droits attachés à l’institution du mariage ne leur seraient reconnus.
Contre la laïcisation du mariage, promue depuis longtemps par le gallicanisme régalien et le joséphisme, puis imposée par le droit révolutionnaire, le magistère avait défendu bec et ongles, depuis Pie VI, l’inséparabilité du contrat et du sacrement, et par le fait, le droit propre et exclusif de l’Épouse du Christ sur le mariage des chrétiens. Le Code de Droit canonique rappelle (can. 1055) qu’« entre baptisés, il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un sacrement ».
D’où il résulte que le mariage civil (le « mariage républicain ») est inexistant pour elle :
– Entre catholiques, elle ne reconnaît comme mariage que celui contracté sacramentellement devant ses ministres compétents.
– Entre chrétiens non catholiques, sans qu’ils aient à se soumettre aux formes canoniques, elle reconnaît aussi comme sacrement le mariage contracté, qu’elle tient pour indissoluble (elle considère en outre l’éventuel divorce de ces chrétiens comme inexistant).
– Enfin, entre non chrétiens, elle reconnaît, non comme sacrement, mais comme contrat naturel et sacré indissoluble l’échange des consentements.
L’échange des consentements pour mariage peut recevoir sa publicité, pour les non catholiques, par une cérémonie religieuse (chez les juifs, par exemple, et a fortiori chez les chrétiens orthodoxes), mais aussi, accidentellement pourrait-on dire, par l’échange des consentements à la mairie (ainsi, pour les protestants, le mariage est considéré comme déjà contracté devant l’officier public).
S’élever contre l’institutionnalisation des unions homosexuelles, par le biais du PACS ou par leur qualification de « mariage », était chose bonne et nécessaire. Sauf qu’on en venait de la sorte à paraître défendre un « bon » mariage républicain contre ses déviations. Des explications de fond de la part des pasteurs de l’Église s’imposaient : si les catholiques avaient à s’insurger – le terme est approprié – c’était contre la prétention d’institutionnaliser la vie en couple homosexuel, de même qu’ils s’élevèrent jadis contre la prétention d’institutionnaliser la rupture du lien matrimonial par le divorce.
Mais les pasteurs auraient dû, dans le même temps, affirmer la pleine suffisance du mariage à l’église pour les catholiques. La dérive du mariage républicain loin de la nature du mariage, leur offrait même une occasion historique pour négocier – avec de longues cuillères – la reconnaissance de la cérémonie du mariage catholique comme seule nécessaire pour des catholiques. C’est bien ce qui est de règle en Italie et en Espagne, où le mariage religieux est automatiquement enregistré comme mariage civil. Au minimum, les autorités catholiques auraient pu demander un régime s’inspirant du système anglais, où la cérémonie catholique suffit, après avoir rempli quelques démarches civiles.
Ou tout simplement, suivre l’exemple des catholiques allemands qui, depuis 2009, ont obtenu – de même que les protestants –, que l’on puisse se marier à l’église sans être auparavant passé devant l’officier de l’état civil. Certes, il faut cependant le faire ensuite, si l’on veut que le mariage ait des effets civils. C’est cependant une première victoire de principe, en l’espèce contre les lois laïques du Kulturkampf.
Abbé Claude Barthe
Voir aussi les billets :
– Quand les autorités de l’Église poussent au divorce
– L’Église a-t-elle renoncé au droit de juger ?