01/04/2019

Quand les autorités de l’Église poussent au divorce

Par Don Pio Pace

Les officialités – tribunaux ecclésiastiques – de France font preuve d’une étrange soumission devant les tribunaux étatiques.
Dans l’Église, qui ne connaît pas la séparation des pouvoirs des démocraties modernes, l’évêque d’un diocèse possède lui-même le pouvoir judiciaire, qu’il exerce par un vicaire judiciaire, ou official, éventuellement assisté d’autres juges (à moins que, compte tenu de la difficulté aujourd’hui de trouver un personnel qualifié, une seule officialité n’existe pour plusieurs diocèses). Le plus gros de l’activité de ces officialités, de nos jours, concerne les causes de reconnaissance de nullité de mariages (pour cas de non-liberté de l’engagement, incapacité psychique à assumer les obligations du mariage, etc.).
La plupart des époux qui demandent ainsi une reconnaissance de nullité le font dans la vue de se remarier. Si les époux ont une démarche chrétienne cohérente, ce n’est qu’après l’éventuelle reconnaissance de nullité de leur mariage, qu’ils demanderont le divorce civil, lequel cesse alors d’être scandaleux.
Mais l’indépendance de la juridiction de l’Église étant de moins en moins reconnue, il est arrivé que, dans le cadre de cette procédure civile de divorce, la procédure canonique de reconnaissance de nullité soit instrumentalisée : les avocats d’une partie, pour obtenir le divorce dans les meilleures conditions, voulant utiliser des éléments contenus dans la procédure canonique à l’avantage de leur client, demandent au juge civil de requérir auprès de l’évêque la communication des pièces du procès canonique.
Plutôt que de refuser cette communication quoi qu’il en coûte, les autorités ecclésiastiques ont adopté une tactique d’une grande faiblesse : depuis des décennies, les officialités demandent aux époux que leur divorce soit préalablement prononcé pour amorcer la procédure canonique (il est vrai qu’un bon nombre d’époux engagent l’action civile sans demander aucune permission). Autrement dit, les juges ecclésiastiques, au nom des évêques de France dont ils sont les mandataires, poussent au divorce ces couples qui les interrogent sur la validité de leur mariage. Non seulement cette invitation est objectivement scandaleuse, mais elle est une grave violation du principe de la « faveur du mariage », qui veut qu’il soit considéré comme valide jusqu’à preuve du contraire (canon 1060). Sans compter que des époux, dont l’officialité jugera finalement que leur mariage était valide, se retrouveront civilement divorcés pour avoir obtempéré à cette étrange injonction ecclésiastique.
Cet abandon d’indépendance de l’Église est d’autant plus déplorable que l’évêque et ses juges pourraient invoquer un arrêt de la Cour de Cassation du 29 mars 1989 (Bulletin des arrêts des chambres civiles, II, n°88, p.42), qui a en effet cassé sans renvoi un arrêt rendu par la cour d’appel de Nouméa, dans le cadre d’une procédure de divorce pour faute, lequel ordonnait sous astreinte à l’archevêque de Nouméa la remise de la copie des pièces d’une procédure de reconnaissance en nullité. La Cour de Cassation a estimé que les documents dont le juge civil requérait la communication « n’étaient parvenus à la connaissance de l’autorité religieuse qu’en raison de la confiance qui lui avait été accordée », et encore « que nul ne peut être contraint à produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la vie privée des personnes », et donc que l’archevêque de Nouméa avait un motif légitime de refuser la communication de ces pièces. Concrètement, on ne peut que s’en réjouir. Sombre époque que la nôtre, tout de même, où il faut user du biais humiliant du droit individuel au respect de la vie privée, pour préserver la liberté sacrée de l’Épouse du Christ !

Pio Pace