Pour une Église verte
Dans l’encyclique Laudato Si, le pape François avait appelé à une « conversion écologique » (n°216 à 221). C’est peu dire que d’affirmer que l’appel a été entendu : il a donné lieu à une multitude de prises de paroles et d’initiatives, promues et encouragées notamment par l’Église de France qui a fait de cette conversion écologique un des axes privilégiés de son action. Ainsi, il y a peu, lors du discours de clôture de l’assemblée plénière automnale de la Conférence des évêques de France, le dimanche 10 novembre 2019, Mgr Éric de Moulins-Beaufort lui donnait une place importante, au sein de la conversion d’ensemble qui doit être celle de l’Église de France aujourd’hui. À côté, étaient aussi mentionnés l’établissement de vraies relations avec les victimes d’abus sexuels, le renouvellement de l’Église par la synodalité et la collégialité, le dépassement de crispations sociales (foulard islamique, immigration).
On nota à cette occasion une présence nouvelle et conséquente de délégués laïcs, chaque évêque étant venu à Lourdes avec deux personnes de son diocèse : si la synodalité prenait corps, c’était à la nécessaire conversion écologique qu’on le devait, ainsi que le rapporta le président de la conférence épiscopale dans le discours déjà mentionné : « Nous sommes heureux d’avoir vécu ainsi dans une collégialité plus forte avec le pape François dans la lumière de son encyclique Laudato Sí et dans une certaine forme de synodalité en travaillant avec des représentants de tout le peuple de Dieu. »
Le label « Église verte »
Mais concrètement, qu’est-ce que cette conversion écologique ?
De cet engouement suscité par Laudato Si et de la promotion qu’en fait l’Église, le label « Église verte » est représentatif au plus haut point. Œcuménique, ce label, s’il a été créé en septembre 2017 à l’occasion des dix ans de la Journée de la création, se place dans sa présentation sur internet (egliseverte.org) sous un double patronage, la COP 21 et l’encyclique Laudato Si, toutes deux datant de 2015.
Il s’adresse aux paroisses et mouvements, plus largement à tous les groupes reconnus par le Conseil des Églises en France et – dans la logique des outils de management qui se diffusent actuellement dans le champ religieux – il se veut un outil visant à mesurer le respect vécu de la création et invitant à s’y engager davantage. L’enquête ou questionnaire – appelé « écodiagnostic » – qui préside à l’acquisition de ce label (il doit être renouvelé tous les ans) commence par un rapide volet de propositions où il est demandé si le « thème de la création » est présent dans les célébrations, les homélies et la catéchèse. C’est peu pour qualifier l’outil de chrétien ; il est bien plutôt profane, appliqué à des groupes chrétiens. La question de la qualification exacte de la conversion visée se pose alors.
D’autant plus que, dans la suite, il s’intéresse très longuement aux bâtiments (de l’isolation jusqu’au papier recyclé pour les toilettes, du compostage des déchets au stationnement des bicyclettes), au terrain (y a-t-il un jardin et de la culture de légumes et de fruits ?), à l’engagement local (projection de films, rencontre avec les élus locaux, co-voiturage, menu végétarien ou vegan, circuits courts de nourriture) et global (commerce équitable, campagne de carême du CCFD), aux modes de vie (4R : réduire, réutiliser, réparer, recycler, épargne personnelle et communautaire éthique, audit environnemental avec bilan carbone et « familles à énergie positive », prévention de la surconsommation de mails et du web en raison du coût énergétique du stockage des données informatiques). L’outil de management, dans sa dynamique, paraît bien être un instrument de conversion des communautés chrétiennes à l’écologie. Et telle semble être la signification principale, pratique essentiellement, de la conversion écologique, où l’adjectif prime.
Certes, il est bon, à toute époque, de découvrir et d’approfondir des attitudes comme la sobriété, le partage, la priorité de l’être et des relations sur l’avoir, etc. La thématique écologique peut en être, sans difficulté, l’occasion. Toutefois, ces vertus ne sont pas proprement écologiques. Elles ont, dans le christianisme, un ancrage ancien et fondamental, elles relèvent de l’ascèse et de la charité. Il y a une ambiguïté gênante à ne pas les distinguer du contexte ou des circonstances de leur promotion actuelle. Ambiguïté quand, par exemple, dans le discours de Mgr de Moulins-Beaufort, qui ne fait ici que reprendre une expression presque consacrée, on parle de « sobriété heureuse ». Ni le substantif ni l’adjectif ne pose problème, au contraire, mais on ne saurait ignorer que leur association, la sobriété heureuse, emporte avec elle les idées de Pierre Rahbi, l’agriculteur-romancier, d’origine algérienne, penseur de l’agroécologie, qui l’a popularisée si ce n’est créée : néo-ruralisme et retour à la terre, décroissance, antimondialisme – avec quoi on peut s’accorder, ou pas. Il faudra revenir sur ce ré-emploi de concepts venus d’ailleurs…
Le péché écologique
Mais la dynamique écologique actuelle dans l’Église, si elle est pratique, assez platement parfois, est tout de même irriguée en partie par un état d’esprit problématique. Une proposition de cet écodiagnostic (la D22, à laquelle on doit répondre par oui, non ou « ne savons pas encore »), d’ailleurs perdue au milieu de propositions techniques ou concrètes, mérite à cet égard d’être citée : « Notre communauté présente à Dieu dans la prière nos manquements à l’égard de la création blessée et lui demande de continuer à travers nous le chemin de libération vers la “terre promise” ».
L’homme y est comme mis en état de coupable par rapport à une création personnifiée. Cette autonomisation de « sœur terre » avait frappé à la lecture de Laudato Si. Dans cette logique, le document final du récent synode sur l’Amazonie a récemment proposé de définir un « péché écologique » comme « une action ou omission contre Dieu, son prochain, la communauté et l’environnement » (n°82), idée reprise ensuite par François : « Nous devons introduire – nous y pensons – dans le Catéchisme de l’Église catholique le péché contre l’écologie, le péché écologique contre la maison commune » ; et d’employer même le terme d’« écocide » (Discours aux participants du congrès mondial de l’Association internationale de droit pénal, 15 novembre 2019).
Jean-Paul II qui, le premier des papes semble-t-il, avait utilisé l’expression de conversion écologique (audience du 17 janvier 2001), parlait certainement du péché, mais d’un péché contre Dieu, puisque l’homme des sociétés modernes, en impie qui méconnaît la sagesse et la gloire divines manifestées dans la création et révélée dans la Sainte Écriture, abuse de la gérance qui lui a été confiée et trahit ainsi la royauté divine qui en est la source. Rien que de très conforme à la théologie classique de la création, créée pour l’homme, qui la soumet et la domine (cf. Gn 1, 28).
L’accent est autre au commencement de l’encyclique : « C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui “gémit en travail d’enfantement” (Rm 8, 22) » ; puis quand est avancée cette opinion, tirée de Teilhard de Chardin : « L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle (…) La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout » (n°83). Ce qui a permis au philosophe Fabien Revol, lors de l’assemblée des évêques, dont nous avons parlé, d’affirmer : « Nous devons retrouver le sens des valeurs propres et intrinsèques des créatures. Elles ne sont pas faites au service de l’être humain. Elles ont une dignité propre. »
S’accorder aux idées du monde
D’approximation en glissement, la théologie de la création a pu être associée, lors du synode sur l’Amazonie, à des pensées animistes : qui n’a entendu parler de la Pachamama ? Dans les pays occidentaux, elle fraie avec des pensées holistiques, gnostiques, celles de l’écologie radicale (deep ecology). Une égalité ou une similitude est alors posée entre la Création, sœur notre mère la Terre (saint François d’Assise) et la déesse mère Gaïa. La nature, non seulement acquiert une pleine autonomie, mais l’homme devient l’accusé, il est le coupable, non par son mauvais usage des biens, mais constitutivement. Si la pensée est radicale, s’assume comme telle et par là demeure marginale, elle n’en gagne pas moins en influence : les agressions violentes contre les bouchers ou la dénonciation de toute natalité trouvent des oreilles complaisantes. Plus sourdement, s’installe une forme de consensus sur la culpabilité a priori de l’homme contre une réalité autonome innocente, la nature.
Le sujet de la théologie de la création mériterait pourtant une réflexion philosophique et théologique conséquente : il relève aussi d’une morale des vertus, voire même d’une mystique (à la manière, par exemple, de saint Bonaventure traduisant l’expérience franciscaine dans le schéma de la triple voie purificatrice, illuminative et unitive). Mais traité comme il l’est aujourd’hui, il relève aussi de l’histoire des idées et plus précisément invite à s’interroger ainsi : l’accent mis sur l’écologie dans le discours de l’Église ne ressemble-t-il pas à d’autres reprises d’idées du monde, voire à la mode, dans un désir de rapprochement, de dialogue ? Ainsi, Jean-Paul II, au début de son pontificat, s’efforça-t-il de démontrer que les droits de l’homme faisaient partie du patrimoine de l’Église, que leur source véritable était l’évangile : l’Église, en dialogue avec le monde, pouvait donner au monde une vigueur nouvelle à ce qui leur était commun. Auparavant, dans la première moitié du XXe siècle, de nombreuses personnalités et organisations, dont les plus emblématiques furent les mouvements d’action catholique et les prêtres ouvriers, accueillirent la main tendue des marxistes, et pas seulement dans le domaine pratique. Peut-être faudrait-il même remonter jusqu’au Ralliement à la République imposée par Léon XIII aux catholiques français.
Les accents furent divers. Mais ces tentatives n’avaient-elles pas en commun une illusion : celle qu’une proximité sémantique et d’éventuelles collaborations pratiques pouvaient conduire à une convergence des pensées, à une unité d’esprit et de cœur évangélisatrice des incroyants et pacificatrice des rapports sociaux ? Léon XIII s’avertissait lui-même, si l’on peut dire, dans ses encycliques antilibérales ; Madeleine Delbrêl fut de celles et de ceux qui contestèrent la possibilité d’une union bénéfique avec les communistes. N’a-t-il pas fallu attendre ces dernières années, avec les évolutions sociétales légalisées, pour que se dessillent les derniers yeux sur l’incompatibilité de l’évangile avec l’idéologie des droits de l’homme ?
En ira-t-il autrement, en termes de pensée, de conversion au Christ, de paix, avec le mouvement actuel ?