01/04/2022

Pour une liberté catholique… dans l’Église catholique

Par l'abbé Claude Barthe

English, italiano

Le présent pontificat, avec ses boursoufflures, pourrait bien constituer, sinon la phase terminale de l’après-Vatican II, en tout cas l’approche de son terme. À condition, bien entendu, qu’il se trouve des hommes d’Église qui aient la détermination nécessaire pour tourner la page.

Incontestablement, on se trouve aujourd’hui dans une atmosphère de pré-conclave[1]. Ce qui ne veut pas dire que les cardinaux électeurs auront à se réunir dès demain dans la Chapelle Sixtine. Mais lorsque viendra le jour où se réuniront les Congrégations générales préparatoires, on peut rêver qu’il y soit fait un bilan sincère ouvrant la voie à un courageux examen de conscience. À défaut, peut-on espérer l’adoption d’une sorte de réalisme d’étape, en vertu duquel on laisserait vivre et se développer les forces catholiques qui existent encore.

Le contexte pessimiste

Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer, que chez les plus hauts prélats, non seulement ceux de l’aile conservatrice, mais aussi pour une part de ceux des diverses mouvances progressistes, il y a désormais une conscience très vive et très pessimiste de la sécularisation, vue comme fatale. La situation de l’Église, en Occident surtout, avec une telle réduction du nombre des fidèles et des prêtres qui fait qu’elle est en passe de devenir presque invisible en certains pays. Ce qui leur fait apparaître que toutes les solutions expérimentées depuis le Concile ont échoué l’une après l’autre : réformes à tout va sous le pape Montini, tentative de « restauration » sous Jean-Paul II et Benoît XVI, réactivation d’un conciliarisme débridé sous François. De là à faire un bilan… Car il est certes aisé de constater que l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de Vatican II ont contribué à dévaloriser la mission. Personne n’ose cependant dire ouvertement que les orientations de ce concile hors normes – a-normatif – ont une large part dans la catastrophe aujourd’hui constatée. Il est vrai que, seuls les plus idéologues des bergogliens, comme les jésuites qui s’activent actuellement à la préparation du Synode des synodes, considèrent qu’il faut aller plus avant encore et que d’ailleurs la sécularisation est une « chance ».

Nombreux hauts prélats sont aujourd’hui déstabilisés par les mots d’ordre de lutte contre le « cléricalisme », mots d’ordre dévastateurs pour les vocations qui restent et qui sont suivis de visites canoniques, puis sanctions contre les communautés, les séminaires, les diocèses « cléricaux », qui peuvent avoir des faiblesses, mais qui bénéficient encore d’un certain recrutement. Ils sont aussi très perturbés par les propositions délirantes du Chemin synodal allemand, avec lequel l’assemblée du Synode romain sur la synodalité va vraisemblablement enclencher un mécanisme éprouvé de négociation-capitulation, en faisant des propositions en-deçà des propositions allemandes mais qui auront de facto valeur de blanc-seing, de non-condamnation.

Il n’est donc pas difficile de prévoir que lorsque les Congrégations générales se réuniront, la critique ouverte ou tamisée contre l’actuel chaos sera dominante, y compris chez des prélats progressistes : gouvernement suprêmement autoritaire et aussi peu « synodal » que possible, décisions en zigzags, réforme illisible de la Curie, échec cuisant de la diplomatie avec la Chine, et aussi situation financière particulièrement inquiétante (voir les précisions bien informées du memorandum cité en note 1). Quant à la critique doctrinale des conservateurs, elle se fera entendre, non seulement à propos des hiatus entre l’enseignement bergoglien et l’enseignement antérieur (pas celui d’avant le Concile, mais celui des papes postconciliaires précédents) : Amoris lætitia qui contredit Familiaris consortio, Traditionis custodes qui réécrit Summorum Pontificum, mais également à propos de la théologie sommaire des exhortations et encycliques du pontificat.

Les forces en présence ?

Tout le monde note que, le collège cardinalice a été largement renouvelé sous ce pontificat par un nombre record de créations et que ses membres se sont vu empêchés de se rencontrer, discuter et donner librement leurs avis lors des consistoires. Les prévisions quant aux poids des tendances dans le Sacré Collège sont donc plus aléatoires que jamais, même si on suppute que la majorité est nettement progressiste. Il est d’ailleurs probable que les nominations, lors du prochain consistoire, vont chercher à faire pencher plus encore la balance en ce sens.

Mais qui émergera de ce côté ? Pour qui les cardinaux Parolin, Marx, Becciu, feront-ils en définitive voter leurs clientèles ? Le cardinal Tagle, 66 ans, préfet de la Propagande, qui a bénéficié de l’appui sans faille des jésuites, semble trop proche de François et ne manifeste pas une grande épaisseur théologique. La faiblesse du cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque du Luxembourg, outre le fait qu’il est fort jeune (63 ans), est d’être jésuite. Sandro Magister, qui redouble actuellement d’activité, lui donne la qualification, assassine dans le contexte actuel, de « François-bis »[2]. En fait, ses chances, s’il en a, tiennent à la sorte de modération un peu naïve avec laquelle il tempère son hétérodoxie : il est pour les prêtres mariés, mais « sur le long terme » ; il n’est pas pour les femmes prêtres, mais leur confierait volontiers des postes d’autorité et l’homélie dans les célébrations ; il estime que « les positions de l’Église sur le caractère peccamineux des relations homosexuelles sont erronées », tout en refusant les bénédictions de « mariages » homosexuels ; il ne voit pas d’inconvénient à ce que les protestants viennent communier à la messe, mais il a été horrifié, en assistant à une cène protestante, de voir qu’on jetait ensuite les restes du pain et du vin à la poubelle parce qu’il croit à la présence réelle (chez les protestants ?).

Du côté conservateur, il paraît assez improbable, en tout cas à ce jour, qu’un candidat (Robert Sarah, ou avec une assise plus large Peter Erdö, 69 ans, archevêque de Budapest, puisse recueillir les 2/3 des voix. Mais l’apport conservateur sera nécessaire à l’élection d’un candidat de transaction, de gauche libérale, qui devra nécessairement entendre leurs désirs. On peut citer, mais simplement pour donner une sorte de portrait-robot d’un candidat réaliste et rassurant, Jean-Pierre Ricard, ancien archevêque de Bordeaux, 77 ans, d’un progressisme libéral tout en rondeur. En l’état actuel,c’est Matteo Zuppi, 66 ans, archevêque de Bologne, porté par le très puissant groupe de pression de Sant’Egidio, qui remplirait les conditions. Peut-il en apparaître d’autres ?

Pour une liberté catholique… dans l’Église catholique

Au XIXe siècle, dans le système politique français, s’était dessinée la situation paradoxale suivante : les partisans les plus fermes de la Restauration monarchique, ennemis dans le principe des libertés modernes apportées par la Révolution, ont cependant prôné en permanence la liberté. Ils ont en somme réclamé, non sans risques, qu’on leur laisse un espace de vie et d’expression : liberté de la presse, liberté de l’enseignement (mais ils n’ont cependant pas su profiter des occasions que cet espace leur donnait pour retourner l’ordre des choses).

Toutes choses égales, dans le système ecclésial de XXIe siècle… D’un point de vue catholique, la perspective à poursuivre est, à terme, celle d’une « restauration » plus profonde que celle qu’a voulue Joseph Ratzinger/Benoît XVI : un retour, pour réamorcer une mission active, à un magistère de pleine autorité, départageant au nom du Christ le vrai du faux sur toutes les questions controversées de morale familiale, d’œcuménisme, etc. Départageant, non seulement ce qui est catholique de ce qui ne l’est pas, mais ceux qui sont catholiques de ceux qui se disent catholiques et ne le sont pas : car il est dévastateur pour la visibilité de l’Église qu’on ne sache plus où est le dehors et où est le dedans d’une Église minée par un schisme latent, ou plutôt submergée par une sorte de néo-catholicisme sans dogme.

Mais, de manière plus immédiate, il semble qu’on ne puisse obtenir qu’un desserrement du despotisme idéologique – pas seulement de celui, genre baroud d’honneur conciliaire, du présent pontificat –, mais de celui plus profond qui pèse sur l’Église depuis que lui a été imposée une manière molle de croire et de prier. Despotisme qui fait qu’au nom de la « communion », il faut se soumettre peu ou prou à un Concile et à une réforme liturgique posés comme nouvelles Tables de la Loi.

Le moyen serait qu’un pontificat de transition donnât une pleine liberté à toutes les forces vives de l’Église. Si l’on s’en tient au paysage français, mais qui peut par analogie servir de grille d’analyse dans toute l’Église, le catholicisme qui aujourd’hui « fonctionne », c’est-à-dire qui remplit les églises de fidèles, notamment de jeunes, de familles nombreuses, qui produit des vocations sacerdotales et religieuses, qui provoque des conversions, se résume à deux grande aires. D’une part, celle qu’on pourrait qualifier de nouveau conservatisme, avec la communauté de l’Emmanuel, la Communauté Saint-Martin (100 séminaristes actuellement, soit plus que tous les séminaires diocésains français réunis), la Communauté de Saint-Jean, des monastères de religieux et religieuses contemplatifs florissants. Ailleurs dans le monde, ce seront des communautés religieuses, des diocèses vigoureux, certains séminaires. Et d’autre part, le monde traditionaliste, avec ses deux composantes l’une « officielle », l’autre lefebvrienne, ses lieux de culte (450 environ en France), ses écoles, ses séminaires (en 2020, 15% des prêtres français  ordonnés appartenaient aux communautés traditionnelles). On objectera qu’un « laisser faire, laisser passer », fût-ce en faveur de ce qui produit des fruits de la mission, est lui aussi plein de risques de dérives. Aussi bien n’est-il à souhaiter qu’aussi longtemps qu’on restera dans des zones magistérielles grises et incertaines.

Tout le monde a cependant conscience, soit pour le désirer, soit pour le craindre (cf. les motivations de Traditionis custodes), que c’est au monde traditionnel, en raison de son poids symbolique, que cette pleine liberté de vivre et de grandir peut donner le plus de possibilités pour aider les prélats qui s’y décideront à « renverser la table ».

Abbé Claude Barthe


[1] Voir le memorandum publié sur le blog de Sandro Magister, Settimo Cielo, sous la signature de Demos : https://www.diakonos.be/settimo-cielo/un-memorandum-sur-le-prochain-conclave-circule-parmi-les-cardinaux-le-voici/
[2] Si le conclave souhaite un François bis, voici son nom et son programme | Diakonos.be.