01/10/2018

Qui a tué le catholicisme en Belgique ?

Par l'abbé Claude Barthe

La réforme prônée par Yves Congar dans son livre de 1950, Vraie et fausse réforme dans l’Église, a aujourd’hui toutes les apparences d’une fausse réforme. C’est ce qui ressort de l’ouvrage de Guillaume Cuchet, professeur à l’Institut catholique de Paris dans Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement (Seuil, 2018). Il y explique l’effondrement spectaculaire en France de la pratique dominicale dès 1965 (25% des Français pratiquaient au début des années soixante ; ils sont aujourd’hui 1,8 %) : à partir de 1965, les jeunes générations de catholiques n’ont plus bénéficié de la transmission de l’héritage et ont abandonné en masse. Tous les pays d’Europe occidentale ont connu cette déchristianisation, mais en Belgique, la rupture a été étonnante. La pratique dominicale, en 1962 dépassait les 60% de la population en Flandre, et était considérée comme « faible » dans les endroits de Wallonie où elle ne se situait qu’à 30%, cependant que ses huit diocèses avaient 10 000 prêtres. Aujourd’hui, la pratique est de 3%,avec 3 600 prêtres de 73 ans d’âge moyen, sans espoir de relève : 70 séminaristes dont 25 seulement dans la Flandre, jadis terre de prêtres. Il faut dire que ses pasteurs furent des conciliaires particulièrement « ouverts ». Le cardinal Léon-Joseph Suenens (1961-1979), un des stratèges de Vatican II, au demeurant très marial, exerça une véritable autorité au sein de l’assemblée dont il fut l’un des quatre modérateurs, notamment dans la bataille de la collégialité. Très écouté de Paul VI, il ne parvint cependant pas à lui faire reconnaître la légitimité de la contraception. Suenens engendra Danneels, pour parler comme les généalogies évangéliques. Le cardinal Godfried Danneels (1979-2010), sans être lui non plus tout d’une pièce (ses propos sur la liturgie non manipulable, lieu de silence, pourraient être assumés par le cardinal Sarah), reprit le flambeau. Il racontera plus tard avoir fait partie d’un « Groupe de Saint-Gall », dont la figure-repoussoir était le cardinal Ratzinger et celle de référence le cardinal Martini, archevêque de Milan. Comme Martini, Danneels se montra favorable à des ouvertures morales (déclarations sur les questions symboliques du préservatif, de la tendance homosexuelle), et à des ouvertures institutionnelles (synodalité maximale). Le fils spirituel de Danneels, après l’intermède de « restauration » peu concluant de Mgr André-Joseph Léonard (2010-2015), étant aujourd’hui Josef De Kesel. Mais ce cap maintenu par les archevêques de Malines n’est cependant pas toute l’explication de la disparition sociale du catholicisme en Belgique. Si, par exemple, des institutions aussi considérables que furent l’abbaye phare de Maredsous et l’Université catholique de Louvain ont pu autant dériver, l’une, du point de vue de la vie religieuse, sous l’Abbé du Roy, l’autre, du point de vue de l’enseignement moral, c’est que la catholicité belge, à l’époque des cardinaux Mercier et Van Roey, certes riche à tous points de vue, était cependant minée : la culture commune dans laquelle elle semblait bien ancrée allait se fragilisant au sein des structures de la modernité démocratique, surtout depuis la dernière guerre. Au lieu de la vraie réforme, qui l’eût dynamisée, ce fut la fausse : on lui a d’un coup infusé un décalque ecclésial de cette modernité, interprété, qui plus est, de manière maximaliste, par Suenens et ses fils. De cette catholicité il ne reste plus rien.

Abbé Claude Barthe