Reconstruire la catéchèse 1ère partie – État des lieux : le contenu actuel
La catéchèse est un des pans de la vie de l’Église où le désarroi de certains acteurs se mêle à l’insatisfaction d’autres, sur fond d’une désaffection presque généralisée. Prêtres et catéchistes peinent à trouver des formules, des méthodes, des parcours qui non seulement portent des fruits de vie chrétienne (quels sont les enfants catéchisés qui participent à la messe dominicale? Quels sont ceux qui « restent », une fois les rites de passage accomplis ?), mais simplement limitent l’hémorragie continue du nombre des enfants catéchisés. Quant aux parents, lorsqu’ils sont attentifs à ce que le catéchisme soit aussi une instruction des vérités de la foi, ils en viennent parfois à se demander s’il ne vaudrait pas mieux qu’ils l’enseignent eux-mêmes à leur progéniture ; à moins qu’ils ne trouvent un autre groupe, hors des structures paroissiales ou diocésaines, avec ce goût amer de se mettre en marge… ou d’être mis…
Des structures éclatées
État, presque toujours de dispersion, très souvent de dissolution. Représentons-nous une ville d’importance moyenne : on y trouve la catéchèse dans les paroisses et les écoles catholiques, dont on pourrait croire que les parcours approuvés par l’évêque y sont suivis. Or l’autonomie ou le laisser-faire y est souvent grand et les responsables peuvent ne recevoir aucune indication, il ne s’exerce sur eux aucun contrôle. Pour le meilleur ou pour le pire… Une partie des enfants de cette ville pourront aller au catéchisme prodigué dans le cadre d’une communauté religieuse ou assuré par le prêtre de la communauté traditionnelle locale, quand bien même la famille ne va pas là à la messe dominicale. Que le catéchisme soit assuré par un prêtre, un religieux ou une religieuse, a pu être un élément important dans un tel choix. D’autres enfants encore s’agrégeront à des groupes qui au point de départ sont des groupes de prière, mais assurent une vraie formation dans les réunions et par leurs revues, avec parfois un sérieux quasi-scolaire. Enfin, certains suivront le catéchisme à la maison, les parents utilisant des ouvrages classiques, maintenant réédités ou disponibles sur internet, ou s’appuyant sur un cours par correspondance, avec éventuellement corrections par un prêtre ou une religieuse. Ces familles pourront aussi, dans un effort de mutualisation, s’organiser et mettre en place une organisation parallèle qu’on appellera par exemple « catéchismes familiaux ». On le voit : la diversité est grande. Dans le monde rural, l’éventail des propositions est plus réduit, à moins d’accepter de faire des kilomètres, parti que certaines familles prennent. Certaines unités scoutes intègrent un cours de catéchisme dans leurs activités de week-end, drainant enfants et familles sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. N’oublions pas internet : l’isolement géographique a depuis longtemps suscité un usage de l’informatique en ce domaine, en complément ou en remplacement des revues papier auxquelles on pouvait être abonné. Le récent confinement, dû à la COVID-19, a considérablement amplifié le phénomène et créé une offre presque pléthorique, beaucoup de curés ou de communautés utilisant qui son téléphone portable, qui un matériel plus sophistiqué, pour filmer les cours de catéchisme rendus impossibles sous leur modalité habituelle. Ces expériences dureront-elles ? Cela n’est pas certain, tant elles sont chronophages ; toutefois, les archives existent maintenant, à disposition de tous.Avant que d’être des opportunités qui s’offrent éventuellement, ce sont d’abord autant de signes d’un désordre, allant jusqu’à des situations ubuesques comme celle de cette classe de 6ème d’un collège catholique où les deux seuls enfants à ne pas lever la main quand on demanda qui avait l’intention de faire sa profession de foi, étaient les deux seuls à aller à la messe le dimanche… car, en plus du parcours dans l’établissement, ils suivaient un cours de catéchisme dans un autre cadre, et c’est là que se déroulerait pour eux cette cérémonie. Ou comme cette déclaration, ingénue on veut le croire, d’un jeune vicaire de paroisse à qui s’ouvraient des parents troublés par l’ennui persistant manifesté par leurs enfants vis-à-vis du catéchisme paroissial qu’ils jugeaient limité, répétitif, « bébête » : « La paroisse ne peut rien pour vos enfants »…
Un contenu éclaté
Si la catéchèse nouvelle a sans doute contribué à la déchristianisation des sociétés occidentales, elle en est aussi une victime : par exemple, quel enseignement, quel parcours proposer à des enfants qui, à la maison, ne reçoivent ni ne vivent rien de chrétien : prière quotidienne, références culturelles, messe dominicale ? Pour nombre de parents, le catéchisme paroissial vaut comme lieu d’initiation à des valeurs morales assez vagues, et l’école catholique est choisie en fonction de la qualité de l’instruction ou de la discipline, de la fréquentation sociale. On sera alors tenté de se mettre en adéquation sur une telle demande, par peur que ces enfants-là aussi disparaissent, sur pression de parents qui ont la force du nombre ou de l’argent, parce que la tâche paraît insurmontable. Et voilà le cercle vicieux enclenché.Le catéchisme a été un des enjeux de la tentative de reprise en main wojtylo-ratzinguérienne entre 1980 et 2013. Dans une célèbre et retentissante conférence prononcée à Lyon puis à Paris en janvier 1983, le cardinal Ratzinger, s’il avait évoqué les motifs de la crise du catéchisme liés à la société moderne, avait aussi dénoncé « une première et grave faute de supprimer le catéchisme et de déclarer “dépassé́” le genre même du catéchisme », et lancé au final cet appel : « il faut oser présenter le catéchisme comme un catéchisme ». Qu’est-ce qui était alors visé ? D’un côté, l’enflure des questions de pédagogie – la forme prenant la place du contenu – et des commentaires humains où se noyait la Parole de Dieu et qui en limitaient la portée à des perspectives humaines, psychologiques et sociologiques, souvent circonstancielles. D’un autre côté, une approche immédiate et narrative de l’Écriture Sainte, où l’expérience – celle du personnage biblique, celle du lecteur – prime : « Si, auparavant, la Bible n’entrait dans l’enseignement de la foi que sous l’aspect d’une doctrine d’Église, maintenant on essaie d’accéder au christianisme par un dialogue direct entre l’expérience actuelle et la parole biblique. » Mêlée à une tentation pédagogiste, cela conduit à oublier, au moins négliger la médiation ecclésiale, la Tradition, le dogme, l’objectivité rationnelle de la révélation et de la foi.Cette conférence venait après l’exhortation apostolique Catechesi tradendæ, écrite par Jean-Paul II en 1979, qui serait suivie en 1997 par le Directoire général pour la catéchèse publié par la Congrégation pour le Clergé.Ces documents ont-ils eu quelque effet ? Le dernier a connu, au début de l’année 2020, une nouvelle mouture, sous la houlette du Conseil pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation, à qui a été transférée la compétence en cette matière. Certes, dans la continuité des documents précédents il affirme : « La catéchèse d’initiation chrétienne est une formation de base, essentielle, organique, systématique et intégrale de la foi ». Mais ces bonnes intentions sont insérées dans un cadre qui les stérilise largement, cadre dont on veut signaler quelques traits : 1°/ Réticence devant la part dogmatique du catéchisme : En accord avec le Directoire de 1997, celui de 2020 insiste sur le catéchuménat comme modèle de la catéchèse, avec un fort primat donné à l’expérience et à sa maturation. Mais, dans celui-ci comparé à celui-là, la mention de l’apprentissage se trouve réduite. On n’y rencontre plus ce que le premier avançait : « La catéchèse fait partie de la “Mémoire” de l’Église qui garde vivante au milieu de nous la présence du Seigneur. L’exercice de la mémoire est donc un aspect constitutif de la pédagogie de la foi depuis les premiers temps du christianisme. (…) L’apprentissage des formules de la foi et leur profession entrent dans le cadre de l’exercice traditionnel de la “traditio” et “redditio” ; c’est ainsi qu’à la transmission de la foi dans la catéchèse (traditio) correspond la réponse du sujet, lors du parcours catéchétique d’abord, puis dans la vie (redditio). » (n° 154 et 155) Il y a une réticence à distinguer et honorer pour elle-même la part rationnelle et dogmatique de la catéchèse, qui n’est pourtant pas niée mais est systématiquement assimilée à l’expérience : « Ces caractéristiques de la catéchèse d’initiation s’expriment de manière exemplaire dans les synthèses de la foi déjà élaborées à partir des Écritures (telles que la triade de la foi, de l’espérance, de la charité) puis dans la Tradition (la foi crue, célébrée, vécue et priée). Ces synthèses sont un moyen de comprendre de manière harmonieuse la vie et l’histoire, car elles énoncent des positions théologiques toujours abrégées tout en proclamant la foi même de l’Église. » (n°71) 2°/ Ne pas imposer la vérité : Dans le même sens, doit être noté l’insistance sur le kérygme, comme élément central de l’annonce de l’évangile et en particulier de la catéchèse, et non pas simplement comme première (chronologiquement) annonce. D’où ce texte, dont on se demande comment il sera concrètement mis en œuvre : « De cette centralité du kérygme pour l’annonce, découlent certains accents également pour la catéchèse : “qu’elle exprime l’amour salvifique de Dieu préalable à l’obligation morale et religieuse, qu’elle n’impose pas la vérité et qu’elle fasse appel à la liberté, qu’elle possède certaines notes de joie, d’encouragement, de vitalité, et une harmonieuse synthèse qui ne réduise pas la prédication à quelques doctrines parfois plus philosophiques qu’évangéliques” (Evangelii gaudium, n°165). Les éléments que la catéchèse, en écho au kérygme, est invitée à valoriser sont : le caractère de proposition ; la qualité narrative, affective et existentielle ; la dimension de témoignage de la foi ; l’attitude relationnelle ; la tonalité salvifique. » (n°59) 3°/ Un laboratoire du dialogue : Enfin, dans la logique bergoglienne, la catéchèse, parce qu’elle est au service de la nouvelle évangélisation, doit être « en sortie missionnaire », se déployer « sous le signe de la miséricorde », être vécue « comme “laboratoire” du dialogue » (n°49 à 54), car « elle rencontre la vivacité et la complexité, le désir et l’envie de chercher, les limites et parfois également les erreurs de la société et des cultures du monde contemporain ». Pour autant, lit-on, elle ce sera sans relativisme, ni négociation sur l’identité chrétienne (n°54).
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Ces insistances ont pour corollaire un regard négatif sur les catéchismes d’antan, jugés trop intellectuels, secs et déconnectés de la vie. Telle n’était pourtant pas leur structure, qu’à tort on réduit aux questions-réponses, et les instructions des évêques, qui les avaient édités, en déployaient avec ampleur le déroulement, ainsi que la portée ecclésiale, familiale, existentielle.Avec raison, comme un modèle et une exhortation pour aujourd’hui, le cardinal Ratzinger terminait sa conférence de 1983 par une citation du Catéchisme du Concile de Trente (à l’usage des curés, premiers catéchistes de leurs ouailles) : « Toute la finalité de la doctrine et de l’enseignement doit être placée dans l’amour qui ne finit pas. Car on peut bien exposer ce qu’il faut croire, espérer ou faire ; mais surtout on doit toujours faire apparaître l’amour du Christ, afin que chacun comprenne que tout acte de vertu parfaitement chrétien n’a pas d’autre origine que l’amour et pas d’autre terme que l’amour. » C’est bien de là dont il faut partir, de cette intention d’un catéchisme qui s’assume comme catéchisme.
Abbé Jean-Marie Perrot
La seconde partie de cet article est consultable ici.