20/11/2020

Reconstruire la catéchèse
2ème partie – Propositions concrètes

Par l'abbé Jean-Marie Perrot

English, italiano
La première partie de cet article est consultable ici.

Dans ces propositions à mettre en œuvre pour un avenir de l’Église à moyen terme, nous supposons que se soient manifestés un certain nombre de clercs de premier rang, spécialement d’évêques, animés non seulement d’une foi intègre, mais aussi d’une volonté décidée de reconstruction.

L’évêque, premier catéchiste, et ses prêtres

Il se trouve que l’insertion de la catéchèse dans la structure hiérarchique de l’Église est très clairement énoncée dans le nouveau Directoire dont nous avons parlé, et que nous allons utiliser pour notre propos en ce qu’il a de meilleur : elle est une dimension particulière de la mission, dont « la responsabilité primordiale » revient au « Pontife romain et [aux] évêques en communion avec lui » et qui consiste à « instruire le peuple de Dieu sur les contenus de la foi et de la morale chrétienne, ainsi que de promouvoir l’annonce dans le monde entier » (n°93). Dès lors, l’évêque diocésain peut et doit être « le premier catéchiste, (…) premier responsable de la catéchèse dans le diocèse » (n°114). Cette tâche comprend, certes, la possibilité de déléguer à des collaborateurs compétents et spécialement dédiés à cette tâche ; toutefois, affirme clairement le Directoire, elle implique d’abord qu’il y soit lui-même attentif, qu’il s’en occupe « directement » : c’est à lui qu’il incombe de fixer les grandes lignes de la catéchèse dans son diocèse, de mettre en place de manière pérenne les structures – personnes, moyens et outils –, de veiller sur la qualité des catéchistes (formation, rectitude doctrinale, exemplarité[i]) comme sur celle des parcours et outils pédagogiques. A plusieurs reprises, sont avancées les caractéristiques de cette fonction épiscopale : attention et même souci, efficacité, adaptation.

Dans cette place primordiale et première de l’évêque diocésain se manifeste une tension entre liberté d’action et responsabilité inaliénable, vis-à-vis tant des commissions et des experts que de la conférence épiscopale à laquelle il appartient. Concernant cette dernière, il veillera, est-il écrit, à ce que son projet diocésain soit « en harmonie » avec ceux de la conférence (n°117). La formulation est vague ; elle renvoie à des précédents, par exemple à la déclaration de non-normativité du texte d’orientation publié en 2005 par la Conférence des évêques de France (cf. décret d’approbation de la Congrégation pour le Clergé mis en tête du document). Plus fondamentalement, il s’agit là d’une confirmation de l’indépendance de l’évêque diocésain vis-à-vis de la conférence, pour ce qui regarde l’enseignement de la foi et des mœurs[ii]. Sur ce plan, ainsi qu’il apparaît, seuls le lient véritablement « les principes et les normes émanant du Siège apostolique » (n°114), c’est-à-dire le présent Directoire.

Ce qui vient d’être affirmé vaut aussi pour les prêtres ayant reçu mission de l’évêque et singulièrement les curés ; mutatis mutandis, car d’un côté, ils n’ont pas la même autonomie que l’évêque, étant ses collaborateurs dans la mise en œuvre du projet catéchétique diocésain (on les invite alors à éviter « toute forme de subjectivisme dans l’exercice du ministère sacré », n°121) ; mais, de l’autre, plus près du terrain, ils ont davantage prise sur les catéchistes : ils sont « catéchiste[s] des catéchistes », les connaissant et les accompagnant comme personnes et comme groupe (n°122). En amont, ils auront discerné quels sont ceux qu’ils peuvent appeler à cette tâche. De même, ils ont la possibilité et la responsabilité de suivre toutes les étapes de la préparation et de la mise en œuvre de la catéchèse dans leur paroisse (cf. n°120).

On ne saurait trop insister, pensons-nous, sur cette réaffirmation forte de la structure ecclésiale et hiérarchique de la catéchèse car, en nombre de diocèses et de paroisses, depuis des décennies, elle est l’objet d’une délégation générale à des spécialistes ou des bonnes volontés solidement installées, via des lettres de mission qui parfois entrent en conflit avec les pouvoirs d’enseignement et de gouvernement des ministres sacrés, curés et aumôniers d’établissements scolaires en premier lieu. La première étape d’une reconstruction de la catéchèse apparaît bien ainsi devoir être un acte de volonté, par les autorités, d’être ce qu’elles doivent être.

La responsabilité des parents et grands-parents

Parmi les autres acteurs de la catéchèse (diacres, religieux, laïcs), deux points méritent d’être notés, tant ils nous semblent pourvoir accompagner le mouvement impulsé par la hiérarchie ou, si par malheur cela devait advenir, pallier son absence.

Le premier point concerne les parents : citant Familiaris consortio, le Directoire rappelle que l’éducation chrétienne est une tâche à laquelle le sacrement du mariage consacre les parents. S’ils peuvent être aidées par la communauté paroissiale, scolaire ou autre, il est indispensable qu’ils « surmontent la mentalité de délégation si courante, selon laquelle la foi est réservée aux spécialistes », travers dans lequel la communauté tombe « parfois » (n°124). Les parents, conclut le paragraphe, sont les « premiers catéchistes de leurs enfants », dont les auxiliaires naturels (ou les suppléants, si les parents faisaient défaut par ignorance ou indifférence, mais laissaient carte blanche…) sont les parrains, marraines et les grands-parents[iii] (cf. 125 et 126).

La catéchèse, un service plus que jamais essentiel

Le second aspect qui attire l’attention, est l’application à la catéchèse du sensus fidei, si cher au pape François et en fait si traditionnel. Nous venons de signaler comment le sacrement de l’ordre et celui du mariage ordonnent – différemment, il s’entend – de manière fondamentale et irréductible à l’enseignement de la foi. A cette dimension ecclésiale se joint une autre qui, elle, découle des sacrements du baptême et de la confirmation. Ces deux sacrements ordonnent toute l’Église et chaque baptisé et confirmé à la mission évangélisatrice de l’Église. Dans ce cadre, le sensus fidei de certains discernera qu’ils sont appelés à prendre une part plus active dans le ministère spécifique de la catéchèse. Et, avance le Directoire, il s’agit bien là d’un appel divin dont la conséquence est énoncée fortement : « Le catéchiste est un chrétien qui reçoit l’appel particulier de Dieu. Cet appel, accueilli dans la foi, le rend apte à se mettre au service de la transmission de la foi et de l’initiation à la vie chrétienne. » (n°112). On est manifestement dans le cadre des charismes qui, à côté des sacrements et des ministères et à un degré moindre, participent à la sanctification de l’Église (cf.  par exemple Lumen gentium n°12).

Cette aptitude est bien un service et ne saurait usurper les droits de la hiérarchie[iv] ; mais celle-ci est invitée à la reconnaître, là où elle se manifeste ou se propose. Ce que fera par exemple le curé dans le discernement des personnes à appeler comme catéchistes, les insérant alors dans le cadre institutionnel. Mais est-ce s’avancer trop que de penser que les parents peuvent eux aussi discerner quelles sont, au-delà du cadre familial rappelé, les personnes les plus aptes à les aider à accomplir leur mission d’éducation de leurs enfants ? De nombreuses initiatives fonctionnent déjà sur ce modèle : groupes de prière ou d’apostolat devenant aussi des cours de catéchisme, revues utilisées dans les familles ou par des catéchistes dans des paroisses ou des établissements scolaires plus ou moins en catimini, etc.

Si elles peuvent être nées en marge des structures ordinaires, ces initiatives pourraient être aussi une solution acceptée, encouragée ou mise en place par un évêque ou un curé, ne serait-ce que temporairement lorsque la réforme des instances catéchétiques ordinaires se révèle une œuvre titanesque de longue haleine. Ainsi ce curé de paroisse assurant un enseignement de la foi dans le groupe de servants de messe de sa paroisse ; groupe sur lequel il avait prise, alors que les lettres de mission des catéchistes prétendaient faire barrage à son regard sur ce qui passait au catéchisme. Le même multipliait les visites impromptues, au fil du temps liturgique, dans les classes de l’école paroissiale, court-circuitant avec l’approbation de la directrice l’équipe de catéchèse peu favorable à sa présence.

En définitive, c’est à juste titre à une convergence des responsabilités et actions hiérarchiques, familiales et charismatiques à laquelle le Directoire invite. Cela doit prévaloir sur, et encadrer les dimensions d’expertise, si prégnante dans le mouvement catéchétique moderne. Cela doit prévaloir aussi sur la simple bonne volonté, touchante, mais malheureusement accordée à la pauvreté humaine des communautés d’aujourd’hui.

* * *

Mais, si nous avons abondamment cité le nouveau Directoire dans un esprit de « réforme de la réforme », nous n’oublions pas qu’il entérine nombre de traits caractéristiques du mouvement catéchétique des dernières décennies (primat de la pédagogie sur le contenu, des récits bibliques sur la doctrine, organisation en modules en partie optionnels ou interchangeables dans leur ordre, etc.), et, s’il s’efforce d’en pallier la faiblesse majeure qu’est le manque de structure garantissant l’intégrité et l’intégralité de la transmission de la foi il le fait en promouvant une dynamique d’initiation, catéchuménale, mystagogique et, maintenant, « dialogale » ? Pour le citer une dernière fois, nous dirons que doit renaître « une véritable passion de la catéchèse », soutenue par « une organisation adaptée et efficace » (n°118).

Abbé Jean-Marie Perrot


[i] Cette exemplarité, si elle n’est pas explicitement mentionnée, se déduit immanquablement de la structure kérygmatique d’annonce de la foi, donnée à la catéchèse. Le catéchiste ne doit pas simplement enseigner les vérités de la foi, mais aussi témoigner de sa vie, de sa conversion continuelle, ne serait-ce que par sa présence au sein de la communauté paroissiale. D’ailleurs, dans le Directoire, on ne trouve pas trace, sauf erreur de notre part, d’une porte ouverte, d’un encouragement à la participation à la vie de l’Église des personnes en situation irrégulière par ces activités de catéchistes, comme on aurait pu le craindre.

[ii] C’est un cas particulier de l’absence de compétence magistérielle des conférences épiscopales, telle que le sanctionne le droit de l’Église. On se souvient que la première exhortation apostolique du pape François, Evangelii gaudium, avait suggéré qu’on réfléchît à « un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique » (n°32). Aucun pas concret n’a été fait en ce sens, fort heureusement ; sauf, peut-être, dans l’approbation donnée au document de la conférence épiscopale argentine décidant d’adaptations de la doctrine à la pastorale des personnes en situation matrimoniale irrégulière, en vue de favoriser leur accès aux sacrements.

[iii] La mention des grands-parents est une nouveauté par rapport aux précédents documents. Cela tient sans aucun doute au constat que, une ou deux générations étant passées, c’est au niveau des grands-parents que demeurent encore quelques bases solides (bien que…), les parents ayant été les victimes du catéchisme qu’ils voudraient maintenant éviter à leur enfants…

[iv] Le Directoire n’aborde pas ce point, pourtant fort réel, bien que délicat dans sa mise en œuvre pratique. Car doit demeurer le principe suivant : « Parmi ces dons, la grâce accordée aux Apôtres tient la première place : l’Esprit lui-même soumet à leur autorité jusqu’aux bénéficiaires des charismes (cf. 1 Co 14). Le même Esprit qui est par lui-même principe d’unité dans le corps… » (Lumen gentium n°7).