L’évaporation d’Humanæ vitæ
Dès la mort de Jean-Paul II, durant le pontificat de Benoît XVI, on ne parlait déjà plus guère de l’encyclique de juillet 1968. Mais sous le pape François, les lieux où sa doctrine était cultivée ont changé de main. Mgr Livio Melina, personnalité importante de la Curie wojtylo-ratzinguérienne, de très solide doctrine morale, président de l’Institut Jean-Paul II d’études sur le Mariage et la Famille, fut brutalement écarté et remplacé par Mgr Pierangelo Sequeri, qui n’était pas moraliste, mais en revanche musicologue et musicien… Amoris lætitia a, en outre, introduit la zizanie dans le personnel de l’Institut. À la surprise générale, le philosophe Rocco Buttiglione, professeur émérite, a modifié ses convictions. Dans un débat public, son confrère Joseph Seifert l’a critiqué pour faire bref, sur le thème : jusqu’ici, en 2000 ans de christianisme, jamais la fornication et l’adultère n’avaient été qualifiés de conformes, dans certains, cas à la volonté de Dieu.
Au Conseil pour la Famille, le changement de ligne était acquis, puisqu’il était dirigé depuis 2012 par Mgr Vincenzo Paglia, aumônier de San Egidio, plus tard postulateur de la cause de Mgr Romero, une de ces étonnantes nominations qu’a multipliées Benoît XVI. En août 2016, il devint Président de l’Académie pontificale pour la Vie et Grand chancelier de l’Institut Jean-Paul II (le Grand chancelier de l’Institut était jusque-là le cardinal-vicaire de Rome). Quant au Conseil pour la Famille, il était absorbé par un Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, dont l’Américain Kevin Farrell, devenu cardinal et aujourd’hui Camerlingue de l’Église romaine, était nommé Préfet.
Paglia et Farrell sont des seconds couteaux. Les hommes forts de la nouvelle doctrine morale, ceux qui ont préparé l’exhortation Amoris lætitia, sont : le très influent cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques ; l’archevêque Bruno Forte, archevêque de Chieti, deux fois Secrétaire spécial de l’assemblée du Synode ; Mgr Marcello Semeraro, évêque pour le siège suburbicaire d’Albano, secrétaire du groupe des cardinaux chargé de conseiller le pape dans la réforme de la Curie, très proche du tout-puissant cardinal Stella, préfet de la Congrégation du clergé ; et surtout le penseur par excellence d’une nouvelle vision de l’Église, le Père Antonio Spadaro, sj, directeur de La Civiltà Cattolica. On a pu craindre, qu’en 2018, ne soit réalisée une « réinterprétation » de l’encyclique de Paul VI pour son cinquantième anniversaire. Un groupe de travail avait été constitué, avec Mgr Pierangelo Sequeri, Mgr Angelo Maffeis, président de l’Institut Paul VI de Brescia ; et surtout Mgr Gilfredo Marengo, professeur d’antropologie théologique à l’Institut Jean-Paul II.
Ce dernier, dans un article du Vatican Insider, du 23 mars 2017, « Humanæ vitæ et Amoris lætitia », se demandait si « le jeu polémique – la pilule oui, la pilule non – comme celui d’aujourd’hui – la communion aux divorcés, oui, la communion aux divorcés, non – n’est pas la simple manifestation d’un malaise et d’une tension beaucoup plus profonds dans la vie de l’Église. […] Chaque fois que la communauté chrétienne tombe dans l’erreur et propose des modèles de vie tirés d’idéaux théologiques trop abstraits et artificiellement construits, elle conçoit son action pastorale comme l’application schématique d’un paradigme doctrinal ». Gilfredo Marengo est en fait issu de Communion et Libération. Il a toujours agi de concert avec son ami Nicola Reali, professeur de théologie pastorale à l’Université du Latran, homme d’une pointure intellectuelle supérieure. Un livre de Nicola Reali, Lutero e il diritto. Certezza della fedee istituzioni ecclesiali, « Luther et le droit. Certitude de la foi et institutions ecclésiales » (Marcianum Press, 2017), a essayé de montrer que la pensée de Luther n’était nullement de casser l’unité de l’Église, mais seulement de la provoquer à un renouveau. Et surtout que Luther ne pensait pas la certitude de la foi comme une croyance subjective, mais estimait nécessaire l’adhésion à l’institution ecclésiale. Plus catholique que Luther, il n’y a pas…
Pour Humanæ vitæ le mode opératoire prévu était simple : des archives de la Commission pontificale qui travailla de 1964 à 1966 sur la régulation des naissances, on allait exhumer des documents de travail, relations de réunions, correspondances avec les conférences épiscopales en faveur de la contraception. Cette Commission, on se souvient, avait conclu majoritairement en sa licéité et surtout en faveur de la non-infaillibilité des enseignements précédents du magistère sur la question. Cette majorité qui incluait des membres et experts considérés comme conservateurs, comme le cardinal Joseph-Charles Lefebvre, archevêque de Bourges, et le Père Labourdette, op, n’avait finalement pas été suivie par Paul VI, qui, torturé,avait fini par renouveler la condamnation magistérielle, mais sans jamais se décider à dire qu’elle était irréformable. Mais tout cela était connu. Du coup, La nascita di un’enciclica (Libreria Editrice Vaticana, juillet 2018), qui présentait le résul
tat du travail de G. Marengo n’eut qu’un faible retentissement (on apprenait peu de choses: un premier projet, De nascendi prolis, « rigoureux énoncé de doctrine morale », avait été modifié pour devenir plus pastoral). En fait, il n’est plus besoin de relativiser officiellement Humanæ vitæ. Ce rappel de la loi naturelle que les couples ignorent, que les prêtres n’enseignent plus et dont les confesseurs ne tiennent aucun compte, est devenu un document aussi obsolète qu’Humani generis ou que Quanta cura.
Pio Pace