01/11/2022

La virginité de Marie, forme de la vie chrétienne, remède à l’« hérésie de l’informe »

Par P. Serafino M. Lanzetta

English, italiano

Cet article s’inspire d’un livre déjà publié en italien et à paraître prochainement en traduction française, intitulé Semper Virgo, La Virginité de Marie comme forme, par le Père Serafino M. Lanzetta, théologien, professeur à la faculté de théologie de Lugano et auteur de nombreux ouvrages en Mariologie et en ecclésiologie.

La virginité de Marie est un fil rouge qui lie ensemble tous les maillons de la Foi chrétienne, ne faisant qu’un avec le dogme qui est au cœur de la Foi, l’Incarnation du Verbe, au point que, si l’on nie la virginité de Marie, l’Incarnation tombe aussi sous le coup du fouet. Dans les temps anciens ainsi que dans les temps modernes, une façon novatrice de parler du mystère de Marie se transforme souvent en un abandon du mystère même, accompagné d’une perte de la valeur de la virginité et de la chasteté, et finit par mettre de côté la saine doctrine que l’Église enseigne depuis toujours.

Aujourd’hui on remet en question le mystère du célibat ecclésiastique, sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’un dogme définitif mais d’un simple élément disciplinaire annexé au Sacerdoce. Cette demande, qui semble vouloir tirer profit des graves scandales de pédophilie, oublie une donnée essentielle : le célibat ne naît pas comme défense de se marier, mais comme moyen pour atteindre la continence parfaite pour le Royaume des cieux. Manipuler son identité en le faisant apparaître comme la pure intransigeance disciplinaire d’une Église moyenâgeuse, non seulement ne résout pas le problème de la pénurie de vocations, mais manifeste le vide de sens qui sape l’Église aujourd’hui, qui mène aux abus sexuels dans le clergé, et qui consiste à avoir vidé de valeur la chasteté et la pureté, échos de la virginité de Marie.   

Le dessein de revoir le célibat s’accompagne d’une autre manœuvre qui vise à réduire l’indissolubilité du mariage. Donner la Communion aux divorcés remariés implique cette réduction, présentée de surcroît sous le manteau de la miséricorde. Or, déjà auparavant, la vie religieuse avait été réduite à une simple option parmi tant d’autres. La notion de perfection chrétienne s’est affadie lorsque la vie religieuse n’a plus été présentée comme « état de perfection », ce qui se répercute également sur le mariage. 

Cette frénésie de nouveauté et les déviations théologiques qui s’ensuivent ont pour racine une compréhension amoindrie du mystère de Celle qui est la mère et le modèle du chrétien parce qu’Elle en est la forme. C’est uniquement si nous gardons intact le mystère de la virginité perpétuelle de Marie que nous aurons le regard assez pur pour pouvoir contempler Dieu. Si, au contraire, nous l’affadissons, bientôt la vérité du mystère chrétien, dans toute sa largeur et sa profondeur, se ternira.      

Le mariage, bien qu’estimé comme idéal, n’aura plus rien à nous dire sinon que l’homme et la femme ne sont pas faits l’un pour l’autre de manière indissoluble, mais sont au service l’un de l’autre selon les temps et les modes. Un regard capable d’aller au-delà des limites de l’éphémère nous fait défaut. La révolution anthropologique s’est accomplie dans l’Église, mais nous avons perdu une partie essentielle de l’homme : son âme. Celle-ci, abandonnée à elle-même, est déjà morte. La chasteté de l’amour une fois défaite, nous avons perdu la notion de vérité, surtout celle de la virginité supérieure à tous les états de vie qui, une fois abandonnée, a pour conséquence le nivellement de toute chose, jusqu’à l’anéantissement de toute distinction.    

Il est indispensable de garder intacte la vérité de la virginité immaculée de Marie.  Sa virginité est la forme du Christianisme, l’essence immaculée de la vie chrétienne, ce qui donne une existence propre à tous les états de vie, les unissant dans une complémentarité à l’intérieur d’une hiérarchie établie. D’abord ce qui est plus parfait : la virginité du Christ et de Marie ; ensuite la vocation religieuse et célibataire dans le Sacerdoce et dans la vie laïque ; puis le veuvage choisi par amour du Christ ; et enfin le mariage, où l’on est appelé à vivre la chasteté conjugale, écho de la virginité spirituelle de Marie, restant fidèle au but principal du mariage qui est la procréation, créer pour Dieu et avec Dieu. Il y a une hiérarchie dans la perfection qui repose sur la virginité de Marie. En Elle, nous sommes préservés de la frénésie de nouveauté qui affadit la Foi, les Sacrements et le mystère de l’Église, vierge et mère.   

Le mariage et la virginité peuvent être mutuellement bénéfiques si tous deux sont en harmonie avec la virginité de Marie, et c’est précisément en vertu de ce lien qu’ils peuvent trouver leur caractère distinctif et la hiérarchie nécessaire pour sauvegarder la primauté de Dieu sur toutes choses. La virginité de Marie dit à l’homme que la virginité, ou le célibat, est l’état de vie le plus excellent puisqu’il est intimement lié à l’éternité de Dieu et, en même temps, que le mariage ne doit en aucun cas être avili, puisqu’il offre le fondement naturel et sacramentel de l’amour conjugal, qui grandit et se perfectionne dans la mesure où il atteint l’union avec Dieu.    

La virginité de Marie est l’« échelle » qui relie le Ciel et la terre, s’élevant au-dessus des choses de l’homme, les portant vers Dieu. Cependant, elle ne pourra servir dans l’Église d’« échelle » qui élève les hommes vers le ciel que si elle est reconnue comme la « forme » de la vie chrétienne, comme le « type » et le principe le plus parfait qui confère la perfection aux choses, puisqu’elle leur confère leur être. La Vierge Marie est la forme qui façonne l’être chrétien.

La forme est avant tout le principe qui détermine l’essence de la matière, lui conférant sa perfection. Aristote définit la forme comme la cause des choses et comme la quintessence de « l’espèce » parce qu’elle spécifie les choses qui sont, leur conférant leur perfection primaire, qui est leur être. La forme permet aux choses de passer de l’état de puissance à celui d’acte, c’est-à-dire de la pure possibilité d’être à l’acte d’exister. L’existence, qui est « l’espèce » de l’être au sens métaphysique, est, par conséquent, aussi la première et ultime perfection de l’être. L’essence de cette forme, comprise dans le sens aristotélicien, peut être transférée analogiquement à la Bienheureuse Vierge Marie ; et plus précisément, à sa virginité, comme cause initiale et finale de l’être chrétien.    

La virginité de Marie est la forme chrétienne parce qu’elle agit comme la perfection structurelle de la vie chrétienne. C’est la perfection originelle et définitive, le commencement mais aussi l’accomplissement du Royaume des Cieux. C’est le commencement, parce que la virginité perpétuelle de Marie est l’expression de son être en tant que création immaculée de Dieu sans tache ni corruption, ainsi que création Immaculée pour Dieu, afin qu’Il puisse s’incarner et habiter parmi nous. C’est l’accomplissement, parce qu’elle signifie la manière d’être en Dieu pour toujours, dans une éternité de contemplation céleste. C’est le caractère définitif d’un amour qui ne se dissipe pas, ne change pas et ne périt pas.  

En outre, la virginité de Marie est la forme du christianisme parce qu’elle est le sein maternel qui forge toutes les vocations, en leur donnant leur unité et leur distinction hiérarchique.   Nous ressentons le besoin d’une forme surtout aujourd’hui, à l’époque de l’« hérésie de l’informe», pour reprendre l’expression de Martin Mosebach. Une sorte d’amorphisme règne lorsque la diversité des états de la vie est anéantie par la notion de perfection, sans se rendre compte, cependant, que la perfection est le but de tous les états de la vie plutôt que leur élément commun. Une telle déviation du développement théologique constant provoque un amorphisme chrétien. La virginité de Marie est la forme chrétienne puisqu’elle est l’« espèce » par excellence qui, à travers l’histoire, nous rappelle ce qu’est le christianisme. Quand un enfant se laisse former par sa Mère, et accueille consciemment cette forme maternelle, alors le Cœur de Marie s’ouvre à lui et anticipe déjà à ce moment-là les nouveaux cieux et la nouvelle terre à venir.

La virginité de Marie est la forme qui unit virginité et amour sponsal.  Elle est la « chambre nuptiale » d’où le Christ sort pour unir à soi, dans son corps pris à la Vierge, son Corps mystique, l’Église. La virginité de Marie donne naissance au Christ et donne ainsi forme à l’Église. Marie est le type des vierges qui restent vierges dans leur corps et de tous ceux qui doivent rester vierges en esprit. C’est une pensée chère à saint Augustin qui, dans un sermon sur la Nativité, parle du Christ sortant « comme un époux de sa chambre nuptiale, c’est-à-dire du sein virginal, laissant l’intégrité de sa Mère intacte ». Le Verbe, en s’unissant à la nature humaine dans la chambre nuptiale virginale de Marie, s’est uni à l’Église virginale et chaste, afin que chacun puisse posséder un cœur pur.  Son sein prépare la naissance de l’Église, épouse du Christ, où toutes les âmes sont promises à l’unique époux, et elles promettent elles-mêmes leur fidélité au Christ. Tous les membres du Christ participent à une chasteté virginale, dont l’Église est riche parce qu’elle imite la Vierge Marie, en devenant, comme elle, vierge par son amour exclusif du Christ, et mère par sa capacité d’engendrer des hommes pour Dieu.

Marie est l’épouse du Christ et c’est précisément ainsi qu’elle unit l’Église au Christ d’une manière sponsale. Saint Maxime le Confesseur, commentant le mystère de l’Annonciation,  attribue à l’Esprit Saint la parure de Marie en tant qu’épouse du Seigneur qui s’incarne en elle. Il s’adresse à Marie, rappelant ce que l’Ange lui dit : « L’Esprit Saint viendra sur vous » afin de « vous préparer et vous orner comme l’épouse digne du Seigneur, et sanctifier dès le commencement votre saint corps et votre âme ornés de vertus divines. Et immédiatement votre époux immortel et votre Fils, qui est la puissance du Très-Haut, vous couvrira de son ombre, car le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu ».   Marie unit la virginité et l’amour sponsal, les incarnant dans son union avec le Christ.   

La virginité conduit à l’amour sponsal et celui-ci, à son tour, doit toujours rester ancré dans la virginité, dans tous les différents états de la vie chrétienne, et toujours viser vers elle, même lorsqu’elle s’exprime dans l’amour matrimonial. L’amour sponsal est toujours la virginité de l’amour, à la fois lorsqu’il s’accomplit dans le célibat sacerdotal, et lorsqu’il est vécu dans le mariage comme la chasteté, c’est-à-dire comme la vérité de l’amour indissoluble et fécond.  La Vierge Marie est donc, une fois de plus, la forme de la vie chrétienne parce qu’elle exprime dans son être à la fois la virginité et l’amour sponsal. L’Église voit en Marie une unité de tous les divers états de vie de ses enfants, les enveloppant dans cet amour sponsal, qui est d’autant plus parfait que l’on se rapproche de celui de la Vierge Marie, puis de celui du Christ lui-même.    

La virginité de Marie est la forme qui unit virginité et martyre, c’est-à-dire le don complet de soi, inauguré par la virginité et accompli par le martyre. Ainsi, la pureté et le sacrifice s’entremêlent au point de sceller en une offrande sacrificielle l’acte suprême de charité, qui est l’union sponsale. L’amour sponsal et le martyre ne font qu’un.  Cela se manifeste, par exemple, dans la louange de saint Ambroise à la martyre sainte Agnès. Il décrit l’union, au-dedans d’Agnès la martyre, de l’épouse qui part pour sa chambre nuptiale et de la vierge qui court à la hâte vers le lieu de son martyre. La chambre nuptiale des noces virginales deviendra écarlate avec le sang de ce petit agneau du Christ. Ainsi écrit saint Ambroise : « Une mariée ne se hâterait jamais à sa chambre nuptiale d’un cœur aussi heureux, ou d’un pas aussi léger, que cette jeune vierge marche vers le lieu de l’exécution. Elle n’est pas parée de boucles tressées, mais du Christ; elle n’est pas couronnée de fleurs, mais de vertu. Tous pleuraient; elle n’a pas versé une larme. » La virginité et le martyre s’entrelacent dans l’amour sponsal, dans le témoignage ultime d’un martyre cruel.   

Par l’amour sponsal avec le Christ, qui a commencé dans la virginité de Marie, chacun dans l’Église est appelé à témoigner de son appartenance au Christ, en devenant une « hostie d’amour», un sacrifice pour Dieu et pour ses frères. Nous pourrions certainement voir Marie, Virgo et Sponsa, comme un exemplum d’amour sponsal virginal dans le martyre qui est le modèle de toute l’Église. Cela présuppose que nous parlions de Marie comme d’une véritable coopératrice dans notre salut, comme la Nouvelle Ève aux côtés du Christ comme le Nouvel Adam, s’offrant sur le Calvaire. En bref : Marie en tant que Co-Rédemptrice de l’humanité.

En Marie et dans son être en tant qu’épouse virginale du Christ, nous avons le début du martyre comme témoignage suprême du Seigneur. Le premier et le plus cruel martyre a en effet été vécu par elle quand, debout au pied de la croix, elle a immolé son Fils pour nous tous et, avec lui, s’est immolée pour notre salut, comme martyre d’amour et de douleur. La vie chrétienne sera à jamais inscrite dans ce couple indissoluble : l’amour sponsal, à la fois vierge et martyr, comme holocauste suprême de l’amour.

Une forme a été imprimée sur le christianisme dès sa toute première apparition dans le monde avec la naissance de Notre Seigneur, et cette forme a été immédiatement perceptible dans le sein virginal et sacrificiel de Notre Dame, sa chambre nuptiale. En Elle, l’amour sponsal devient oblatif. La vie religieuse peut retrouver son essence en redécouvrant la valeur inestimable d’une spiritualité oblative, qui place le don de soi au centre, jusqu’au sacrifice complet de soi et même au martyre ; tandis que le mariage peut compter sur l’indissolubilité de l’amour chaste et fécond.  

Si Notre Dame est placée une fois de plus au centre, tout peut s’épanouir une fois de plus parce que la forme appropriée de toutes choses sera restaurée. Elle est le type originel qu’il faut préserver pour cesser de payer le prix fort d’un effondrement silencieux et inévitable dans un amorphisme des principes et de la vie, difformes et sacrilèges. Il faut faire davantage pour restaurer cette forme.

Père Serafino M. Lanzetta