01/06/2023

Les séminaires de « troisième voie » : faillite actée et échec annoncé

Par Rédacteur

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Dans une étude portant sur les prêtres de la génération Jean-Paul II, la chercheuse Céline Béraud remarque le paradoxe de ces clercs qui à la fois affichent l’ambition très moderne de trouver leur épanouissement dans l’exercice de la prêtrise et qui en même temps réactivent l’idéal sacerdotal tridentin[1].

La publication de cette étude date de 2006 et elle est le fruit d’une enquête menée par l’auteur auprès de prêtres des diocèses de Paris et de Valence, ordonnés alors moins de dix ans auparavant et âgés « au plus de 40 ans. » Même si le sacerdoce a été particulièrement attaqué ces dernières années, notamment à la suite des scandales d’abus sexuels et du Rapport de la Commission Sauvé, on peut gager que la réalité n’a pas été profondément modifiée, sauf peut-être qu’il faudrait la renforcer encore dans l’aspect « néo-tridentin » des prêtres dits, eux, de la « génération Benoît XVI ».

Si Céline Béraud dresse un constat intéressant et fait ressortir des aspects « types » des prêtres des années 2000, elle aborde peu la question de leur formation et notamment des lieux d’instruction sacerdotale, comme si ces prêtres appartenaient à une sorte de génération spontanée, née uniquement de l’admiration pour Jean-Paul II et du charisme personnel que le pape polonais a dégagé pendant son long pontificat.

Pourtant des séminaires ont tenté d’incarner cette sorte de « troisième voie » qui a consisté à vouloir associer une certaine modernité et l’idéal sacerdotal mis en relief par le concile de Trente et les grands apôtres de la Contre-Réforme. Sans prétendre à une étude exhaustive, nous voudrions essayer ici de donner quelques exemples de ces séminaires de « troisième voie ».

Précisons d’emblée que par « troisième voie », terme peu satisfaisant mais utile à défaut d’autres, nous entendons qualifier cette tentative générale incarnée par Jean-Paul II et les évêques nommés par lui (en France, en premier lieu par le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris) de trouver une via media reposant sur une interprétation de Vatican II dans la ligne du « ni, ni » : ni refus du Concile, ni marche en avant trop excessive.

À ce titre, nous n’évoquerons pas ici, comme étant en quelque sorte hors sujet, bien que pesant d’un poids important pour stimuler la mise en œuvre de ces maisons de formation de « troisième voie », Ecône et les autres séminaires de la FSSPX, ni ceux des communautés Ecclesia Dei, pas plus d’ailleurs que la formation sacerdotale reçue par les prêtres de communautés religieuses.

Des séminaires de « troisième voie » remis dans la voie commune

Paray-le-Monial – Dès 1969, l’une des premières initiatives à voir le jour fut celle du supérieur des chapelains de Paray-le-Monial, au diocèse d’Autun, le Père Jean Ladame, spécialiste des apparitions du Sacré-Cœur. Cet homme considéré à Rome comme pieux et fidèle, réunit alors quelques garçons désireux de se préparer au sacerdoce en dehors des structures diocésaines qui subissaient de plein fouet le vent de la révolution conciliaire. Il n’y avait pas chez le Père Ladame de refus du Concile ou de la nouvelle messe, mais le souci d’éviter la rupture avec tout le passé de l’Église. Il proposait une année de spiritualité ou propédeutique en application du décret conciliaire Optatam totius sur la formation des prêtres (n.12).

L’initiative du Père Ladame fut plus tolérée qu’encouragée. En 1974, elle fut reprise en main par le Père Guy Bagnard, qui en fit un premier cycle et qui intégra, non sans difficultés et critiques, le séminaire de Paray-le-Monial dans la vie de l’Église de France. Les séminaristes qui suivent la première partie de leurs études à Paray-Le-Monial sont ensuite envoyés pour le deuxième cycle dans le séminaire de leur diocèse, le plus souvent d’ailleurs au sein de séminaires interdiocésains, ou au séminaire français de Rome. Ayant reçu une formation classique, marqués le plus souvent par l’École française de spiritualité, sensibles à une liturgie nouvelle célébrée avec respect, les jeunes séminaristes issus de Paray-Le-Monial devaient ensuite s’intégrer ou être intégrés de force à une formation en lien avec la « pastorale » de leur diocèse. Le résultat ne fut pas toujours probant. Certains s’exfiltrèrent au sein de communautés religieuses, d’autres furent renvoyés, y compris après le diaconat quand d’autres, tout simplement, rendaient les armes et retournèrent à la vie laïque.

Paris – À Paris, en 1984, le cardinal Lustiger, en place depuis 1981, reprend en main la formation de ses séminaristes. Il entame une stratégie de contournement de la formation donnée au séminaire d’Issy-les-Moulineaux ainsi qu’au séminaire des Carmes (Institut catholique de Paris). Plutôt que de s’opposer frontalement à ces institutions, il élargit l’offre et privilégie la nouvelle structure qu’il met en place.

Au traditionnel séminaire unique, réunissant l’ensemble des candidats au sacerdoce ainsi que l’équipe des professeurs permanents, il préfère la création de petites maisons. Il met ainsi sur pied la Maison Saint-Augustin dans laquelle il propose une année de propédeutique puis développe sept autres maisons, regroupant chacune une dizaine de séminaristes, ces derniers se retrouvant à l’École cathédrale, maintenant au Collège des Bernardins (Faculté Notre-Dame) pour y suivre leur formation intellectuelle.

La formule, nouvelle dans le contexte de l’époque mais s’inspirant du Moyen Âge, remporta un certain succès. Elle répondait à la fois à un besoin très actuel de proximité et d’expérience de vie en petit groupe tout en offrant une formation considérée comme plus « classique » que celle dispensée par Issy-les-Moulineaux ou les Carmes.

L’expérience Lustiger a duré 24 ans (1981-2005), lesquels correspondent à peu près au règne de Jean-Paul II. Elle se résume en trois chiffres : de la cinquantaine de séminaristes de l’époque du cardinal Marty, on est monté à plus de 100 séminaristes à la fin des années 80, pour retomber à une cinquantaine au début des années 2000.

Fréjus-Toulon – À peu près à la même époque, en 1983, Mgr Joseph Madec, à peine installé comme évêque de Fréjus-Toulon, décide la réouverture du séminaire de La Castille, d’abord avec une année de propédeutique puis successivement avec les autres années. Son successeur depuis l’année 2000, Mgr Dominique Rey poursuit sur cette lancée, en ayant à cœur d’accueillir les candidats au sacerdoce des différentes communautés religieuses qui intègrent le diocèse. Ouvert au monde traditionnel, Mgr Rey n’hésita pas, ces dernières années, à confier la direction des études à l’abbé Dubrule des Missionnaires de la Miséricorde, communauté célébrant l’ancien rite. Si ce séminaire diocésain peut afficher en 2022 une cinquantaine de séminaristes et presque une dizaine de propédeutes, Rome n’en interdit pas moins, les ordinations de quatre prêtres et six diacres au mois de juin de la même année. Tout n’est cependant pas encore perdu pour le séminaire de la Castille, où les Missionnaires de la Miséricorde sont toujours présents et où diverses évolutions sont encore possibles.

Ars – C’est une autre stratégie que poursuivit Mgr Guy Bagnard quand il est nommé évêque de Belley en 1987 par le pape Jean-Paul II. L’année suivante, il crée à Ars même le séminaire international Saint-Jean-Marie Vianney afin d’offrir une formation sacerdotale à tout jeune du monde qui souhaite devenir prêtre. Le cycle complet de formation (de la propédeutique à la théologie) y est proposé sous l’égide de la Société Jean-Marie Vianney, devenue en 2002 association publique cléricale de droit pontifical. Celle-ci a pour but de conforter les prêtres diocésains dans leur ministère en leur permettant de vivre un idéal sacerdotal commun quel que soit leur lieu d’affectation. Vingt-cinq ans après sa fondation, en 2016, la société Jean-Marie Vianney regroupait 83 prêtres répartis dans trente-deux diocèses, en France et à l’étranger.

Arrêtés ou freinés par Rome (Fréjus-Toulon), mis en sommeil par manque de soutien épiscopal après le départ de l’évêque fondateur (Bellay-Ars) ou trop liés au charisme du fondateur (Paris), réintégrés totalement au sein du système actuel des séminaires français (Paray-Le-Monial), la plupart des séminaires de « troisième voie » marquent le pas et semblent pris dans les contradictions du « ni, ni ». On est loin ici des séminaires de la Réforme tridentine, s’appuyant sur une exigence spirituelle forte, communautaire et personnelle, un enseignement doctrinal exigeant et une identification très sacralisante au Christ prêtre. Cette via media apparaît bien pour ce qu’elle est : une voie moyenne, dans tous les sens de ce dernier terme. Et on se souviendra, par comparaison (et avec les limites de celle-ci) que c’est pour avoir notamment constaté l’échec de la via media de Pusey et de son courant anglo-catholique que le futur cardinal Newman rejoignit l’Église catholique.

Une tentative encore active : le séminaire de de la Communauté Saint-Martin

Les exemples de Paray-Le-Monial, Paris, Toulon et Ars s’inscrivent tous, peu ou prou, dans un contexte diocésain ou interdiocésain, en tous les cas en lien avec un évêque. Le cas de la Communauté Saint-Martin est différent. Fondée en 1976 par l’abbé Jean-François Guérin, cette fondation, devenue depuis association publique cléricale de droit pontifical, a pour but la formation de prêtres et de diacres envoyés en petites communautés au service des diocèses. Elle a d’abord été accueillie par le cardinal Siri, archevêque de Gènes (Italie) avant d’établir son premier apostolat français dans le diocèse de Fréjus-Toulon en 1984. Sa maison de formation, d’abord installée à Candé, dans le diocèse de Tours, en 1993, est depuis septembre 2014 à Évron, dans le diocèse de Laval.

Il est à noter que selon ses documents internes, « L’École supérieure de philosophie et de théologie » d’Évron, c’est-à-dire le séminaire, « est affiliée à la faculté de théologie de l’université pontificale du Latran » et que ses statuts prévoient qu’elle puisse former, outre les membres de la Communauté, « tous les candidats aux ordres que les ordinaires seraient à même de lui confier ». Outre saint Thomas d’Aquin, revendiqué explicitement, Vatican II sert de boussole tout aussi explicite aux études au sein du séminaire.

En 2021, selon le quotidien La Croix, 168 prêtres de la Communauté Saint-Martin étaient en ministère dans trente diocèses. Toujours selon la même source, « la communauté pourrait représenter entre 20 et 40 % du clergé actif dans trente ans, quand les prêtres nés dans les années 1950 ne seront plus là. »[2] Une perspective renforcée par le fait qu’une centaine de séminaristes se préparent au sacerdoce entre les murs du séminaire d’Évron. Il reste, comme le notait La Croix, qu’en France « Les entrées au séminaire ont été divisées par dix en un demi-siècle (une réalité que Saint-Martin ne change pas). La communauté se contente d’attirer une grosse partie des vocations restantes, pour la plupart issues de familles catholiques classiques où la sacralité de la messe et la figure du prêtre demeurent centrales. Ces dernières années, d’autres séminaires ont joué ce rôle comme ceux de Belley-Ars ou de Toulon. Désormais, un cinquième des prêtres consacrés en 2021 vient de Saint-Martin. »

Dans ce contexte présent, la Communauté Saint-Martin semble donc faire exception, au point d’interroger jusqu’au quotidien La Croix et d’apparaître à nombre d’évêques comme la bouée de sauvetage. Il reste que les mêmes causes produisant inéluctablement les mêmes effets, une entreprise conservatrice, fût-elle particulièrement typée,ne peut qu’échouer à produire une contre-réforme. Ses difficultés viendront certainement de la forme particulière que prend chez elle l’incarnation de la via media. Certes, latin, grégorien et saint Thomas d’Aquin au séminaire, mais célébrations conformes à la pastorale actuelle des diocèses dans les apostolats. Avec un seul refus net… celui de célébrer aussi selon la liturgie traditionnelle. En un mot, un grand écart permanent, et à terme, douloureux.

Pierre Benoît


[1] Céline Béraud, « Prêtres de la génération Jean-Paul II : recomposition de l’idéal sacerdotal et accomplissement de soi », Archives de sciences sociales des religions, 133 | janvier – mars, 2006

[2] Mikael Corre, « Communauté Saint-Martin, l’avenir de l’Église de France ? », La Croix, 20/09/2021.