Un magistère synodal-pastoral
L’exhortation post-synodale Querida Amazonia, datée du 2 février 2020, a pris, comme on sait, tout le monde à contrepied : alors que le document final de l’assemblée du Synode sur l’Amazonie avait proposé, pour pallier la carence de célébration eucharistique dans cette région du monde, l’ordination sacerdotale de diacres mariés (n.111) [1], l’exhortation post-synodale tant attendue n’en disait rien.
Il faut sans doute interpréter ce silence comme un processus classique de « transaction », semblable à ceux que Paul VI a mis en œuvre à diverses reprises au cours Concile : tout en maintenant une ligne générale, il est accordé à la tendance conservatrice des modérations à portée diplomatique. Celle-ci en est soulagée, cependant que la tendance progressiste en est exaspérée (2), l’une et l’autre sans vrai motif.
D’ailleurs, Mgr Víctor Manuel Fernández, archevêque de La Plata en Argentine, un des prélats les plus proches du Pape, a publié dans L’Osservatore Romano du 17 février 2020, un article donnant une clé d’interprétation de l’exhortation, qui semble tout à fait autorisée. Querida Amazonia qui, selon lui, se propose de créer une Église amazonienne « nettement laïque » (3), est simplement « complémentaire » du document final, ce qui est une « nouveauté synodale ». De sorte que la question du sacerdoce marié et des autres propositions du synode, estime-t-il, ne sont nullement hors de propos, mais seront plutôt reprises dans un nouveau « rite amazonien » à développer [semblable, si on comprend bien, à un rite oriental, intégré cependant au rite romain, où existerait le sacerdoce marié].
En effet, lorsqu’on lit attentivement l’introduction de Querida Amazonia, on constate que le pape « présente officiellement ce document », qu’il invite à « lire intégralement » (n. 3), se contentant pour sa part de « fournir un bref cadre de réflexions », synthétisant certaines grandes préoccupations qu’il a exprimées dans ses documents antérieurs (n. 2).
Il faut se souvenir que la Constitution Episcopalis communio sur le Synode des évêques, du 15 septembre 2018, prévoyait que le document final d’une assemblée remis au pape, s’il était approuvé expressément par lui, sans qu’aucune forme particulière ne soit requise pour cette approbation, participait du « magistère ordinaire du Successeur de Pierre » (art. 18). Rien de surprenant : de la même manière le pape pourrait, de sa pleine autorité, approuver infailliblement tel ou tel enseignement d’un concile ou d’un synode particulier. Mais personne ne soutiendra qu’on est ici dans le domaine de l’infaillibilité : on est dans celui dit du pastoral, inférieur au doctrinal, ce qui permet de donner un enseignement plus « libre ».
C’est en tout cas ce que revendiquait clairement (le mode inférieur et les propos plus « libres ») l’introduction de la très controversée exhortation Amoris laetitia, au motif que « tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles » (n. 3). À combien plus forte raison, l’exhortation Querida Amazonia, qui fait part des « réflexions » et des « rêves » du Pape. On aurait donc ainsi une exhortation pastorale – purement pastorale, dont l’enseignement est seulement de l’ordre du « cadre de réflexions » – qui, présentant officiellement un document final d’assemblée synodale, le ferait entrer dans ce même enseignement pastoral du Pape. Une sorte de cercle synodal-pastoral. Alors que l’exhortation pontificale, qui fait modestement sien le document final de l’assemblée, est synodalisée, la proposition synodale d’ordination sacerdotale de diacres mariés, ainsi intégrée à la « réflexion » pontificale, est pastoralisée. Et quand les temps seront mûrs, il reviendra à l’épiscopat amazonien (et l’épiscopat allemand, etc.) de se l’approprier pastoralement et synodalement.
1. « Nous proposons d’établir des critères et des dispositions de la part de l’autorité compétente, dans le cadre de Lumen Gentium 26, pour ordonner prêtres des hommes idoines et reconnus par la communauté, qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate au presbytérat, pouvant avoir une famille légalement constituée et stable, pour soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des sacrements dans les endroits les plus reculés de la région amazonienne. »
[1]. Elle avait baptisée « semaine noire », la semaine du lundi 16 au samedi 21 1964, où Paul VI avait ajouté une Nota explicativa praevia d’allure traditionnelle à la constitution Lumen gentium, renvoyé à la session suivante la discussion du document sur la liberté religieuse, et apporté une vingtaine de modifications de détail au décret sur l’œcuménisme.
2. Voir dans Res Novæ, la traduction de notre article sur le site Rorate Cæli, « Querida Amazonia : pour une sorte d’« Église laïque » ».