19/05/2020

La liberté intrinsèque du culte divin

Par l'abbé Claude Barthe

Au sein de l’interruption inouïe du culte chrétien survenue depuis le mois de mars en France et dans un certain nombre de pays du fait de la crise sanitaire, un épisode juridique fort intéressant vient de se dérouler le 18 mai 2020. Le juge des référés du Conseil d’État, statuant sur requête d’une série de personnes et associations de la mouvance dite traditionaliste et du parti Chrétien-Démocrate, a pris une ordonnance enjoignant au Premier Ministre de « modifier, dans un délai de huit jours les dispositions du § III de l’article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020[1], en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de “déconfinement”, pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte ».

Le juge administratif a reconnu ainsi que le décret du gouvernement avait « un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et [constituait] ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière. » En d’autres termes, il admettait que le principe de la liberté de culte, reconnu dans le cadre de la laïcité républicaine, n’était pas respecté. Nous avions nous-même, dans un article du 15 avril, « La messe est-elle aujourd’hui interdite en France ? », fait valoir que, contre toute verbalisation d’un acte de culte au titre de « contravention », il serait possible de soulever l’inconstitutionnalité des mesures gouvernementales jusque devant la Cour de Cassation.

Bien entendu, lorsque l’on use de ces moyens juridiques, où l’on fait en somme se diviser contre lui-même le royaume des ennemis de la religion, il convient de le faire moralement, c’est-à-dire en gardant saufs les principes de droit divin qui régissent cette matière, à savoir ceux de la liberté intrinsèque du culte divin, qui ne saurait en rien dépendre d’une disposition réglementaire du gouvernement, ni d’une ordonnance du juge administratif.

Sans donc cesser de nous réjouir grandement de cet élargissement concret, il est important de remarquer :

–       1/ Qu’on reste ici dans le cadre de dispositions de l’État laïque et républicain qui prétend encadrer la vie cultuelle de l’Église, laquelle en réalité ne dépend que d’elle-même, c’est-à-dire en premier lieu des évêques, qui auraient dû, depuis le début de la « crise », organiser de leur propre chef les cérémonies publiques de la religion, en prenant bien entendu toutes les précautions conformes au bien commun pour éviter la propagation de la maladie.

–       2/ Que la décision du juge des référés du Conseil d’État, et que les nouvelles dispositions réglementaires du Premier Ministres qui s’ensuivront, concernent en fait tous les « cultes », musulman, protestant, juif, et aussi catholique. Comme cela a été remarqué, il est vraisemblable que le délai donné au gouvernement lui donnera la possibilité de faire que les nouvelles mesures ne seront efficientes qu’après la fin du ramadan, le 23 ou 24 mai, les possibles débordements musulmans étant peut-être la grande raison pour laquelle les catholiques avaient, eux aussi, étaient maintenus « confinés ». En tout cas, il est clair que l’Église reste soumise au « droit commun », au titre d’une association religieuse parmi d’autres, ce qu’elle refuse – ou devrait refuser – dans le principe.

Si donc aujourd’hui on commence à voir le bout d’un tunnel très sombre, qui sera en France, en Italie et en d’autres pays, un moment historique particulièrement honteux, il faut le dire, de l’histoire de l’Église, on ne peut que s’interroger sur les amertumes que risque de nous réserver l’« après ». Le catholicisme va logiquement payer au prix fort la démission d’une majorité d’évêques, la passivité de beaucoup de prêtres et aussi le consentement de nombreux fidèles.

Dans un article publié par L’Obs, le 8 mai 2020, « Le croyant est-il un consommateur comme un autre ? », le politologue Olivier Roy, tirait des conclusions qui sont pour nous fort amères :

« Même si l’Église a été très consciente de sa minorisation dans la société, elle s’est crue immune de la religiophobie montante. Elle la prend aujourd’hui en pleine figure : la police traque des messes “clandestines”, évidemment dénoncées par les voisins, comme s’il s’agissait de “vulgaires musulmans” ! […] Comment l’Église réagit-elle ? Et bien justement en se présentant comme une communauté particulière, celle des consommateurs de biens sacrés : “nous voulons la messe, la confession, l’hostie”. Elle fait donc appel à la liberté religieuse inscrite dans la loi et dans la constitution : droit non seulement de croyance et d’opinion, mais aussi de pratique dans un cadre collectif. Mais en se réclamant des Droits de l’homme et du Droit des minorités, elle entérine non seulement sa marginalisation, mais aussi son “auto-sécularisation”, c’est-à-dire l’inscription de son activité dans le cadre d’une association de consommateurs comme les autres (on trouve cet argument récurrent : “si les musées (ou les MacDo, ou les supermarchés) sont ouverts, pourquoi pas les églises ?”. Le religieux relève ainsi du catégoriel et pas de l’universel. Certes, cette démarche est la seule qui puisse remonter jusqu’au Conseil d’État, voire à la Cour Européenne des Droits de l’homme. Elle est parfaitement légitime et efficace pour assurer une ouverture des lieux de culte. Mais il est intéressant de constater que l’Église ne parle jamais (ou fort peu) de manière “religieuse” au sujet de l’épidémie (même si plusieurs ecclésiastiques ou philosophes catholiques le font à titre personnel). […] Du coup, elle n’a ni discours ni action universaliste. Elle se comporte en syndicat de catholiques. »

Comme si l’Église, l’Église de France spécialement, s’était encore plus affaissée dans le ralliement à la société moderne qui prétend l’asservir.

Et malgré tout, elle a les paroles de la vie éternelle. Surge, velociter ! « Relève-toi, vite ! », dit l’Ange à saint Pierre dans les fers de la prison du roi Hérode (Ac 12, 7).