01/12/2020

Les prêtres de demain

Par l'abbé Claude Barthe

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Point n’est besoin de démontrer que le relèvement de l’Église et celui du sacerdoce iront de pair. La présente situation pourrait être désespérante, mais elle est aussi paradoxalement providentielle : elle est la démonstration de la faillite d’une fausse réforme dans l’Église, pour évoquer le titre du P. Congar, et elle met en évidence des éléments de ce que pourrait être une vraie réforme.

L’arbre et les fruits

Nous évoquerons ici le cas de la France, sans doute le mieux documenté du point de vue des vocations sacerdotales depuis le Concile, et en tout cas le mieux connu de nous.

Dès la fin du Concile, en 1965, un climat annonciateur de Mai 68 s’était installé dans l’Église. Des hérésies se diffusaient sans plus être combattues, cependant que toutes les institutions ecclésiales étaient ébranlées. On a du mal aujourd’hui à se représenter l’immense chambardement provoqué par l’aggiornamento des instituts religieux en fonction du décret conciliaire Perfectæ caritatis : entre 1965 et 1970 furent modifiées les constitutions et une sécularisation notable transforma bien des aspects de l’existence des religieux et des religieuses (abandon du costume, des périodes de silence, entrée de la télévision dans les couvents, vie de religieux et religieuses dans des appartements, etc.). On a alors assisté à la disparition, faute de vocations, des instituts de religieuses de vie apostolique – fait historique peu souligné – qui représentaient un élément important du tissu paroissial depuis le XIXe siècle.

Dans le même temps, on assista à la dilution du clergé dans le monde séculier environnant, dont le signe le plus frappant pour les populations fut l’abandon très rapide de la soutane. Sur la commotion provoquée par la réforme liturgique dès ses débuts en 1964, il n’est pas nécessaire de revenir, pas plus que sur l’hémorragie des fidèles provoquée par la déstabilisation généralisée.

C’est dans ce contexte qu’a commencé une chute vertigineuse des ordinations sacerdotales. Certes, d’autres baisses importantes avaient eu lieu par le passé : celle qui a suivi la Séparation de l’Église et de l’État entre 1905 et 1914 ; celle aussi qui commença en 1947, après les années fastes de « rattrapage » d’après-guerre, baisse qui cependant n’avait pas empêché un renouvellement des prêtres tel que la pyramide du clergé en 1965 était exceptionnellement jeune[i].

À partir de 1965, le nombre des prêtres diocésains s’est réduit dans des proportions considérables, à cause de la baisse des ordinations et aussi d’un mouvement de « départs », qui n’a jamais cessé depuis, même s’il est moindre en chiffres absolus du fait que le nombre des prêtres est bien plus faible. Une étude réalisée par la Fraternité Saint-Pie X, intitulée « Classement des diocèses de France », compare le nombre des prêtres incardinés dans les diocèses de France en 1964 et en 2020. On y voit que Paris est passé de 1854 à 638 prêtres ; Lyon de 1561 à 290 ; Verdun de 298 à 47 ; et ainsi de suite[ii]. Un seul diocèse métropolitain, pauvre à l’origine, est aujourd’hui plus riche qu’en 1964, celui de Fréjus-Toulon, qui a pratiqué l’accueil de nombreuses communautés classiques et traditionnelles (190 prêtres en 1964, 202 en 2020).

En effet, à partir de 1965, l’effondrement des ordinations est devenu comme irrémédiable : 646 prêtres diocésains étaient ordonnés en 1965 dans toute la France, 566 en 1966, 461 en 1968, 170 en 1975, avec passage sous la barre des 100 en 2004 (90 ordinations).

Or dans ce contexte, le profil des nouveaux ordonnés, et cela a été sensible dès les années 1990, est devenu très différent.

Les nouveaux prêtres

Cache-misère ou réalisme : les chiffres officiels, donnés chaque année par la Conférence des Évêques de France, intègrent depuis plusieurs années les ordinations de prêtres de communautés qui vont exercer un ministère diocésain, comme la Communauté Saint-Martin, et même de certaines communautés traditionnelles. Cet apport des communautés extrêmement classiques (la Communauté Saint-Martin) ou traditionnelles (Fraternité Saint-Pie-X, Fraternité Saint-Pierre, Institut du Christ-Roi, etc.), sans opérer de remontée sensible, permet de constater une stabilisation autour de cent ordinations annuelles : 110 ordinations en 2020, dont 16 pour les instituts traditionnels, FSSPX comprise ; 88 en 2015, dont 20 pour les instituts traditionnels ; 112 en 2010, dont 16 pour les instituts traditionnels. Cela souligne l’importance proportionnelle des ordinations traditionnelles : 15% à 16% des prêtres ordonnés chaque année en France le sont pour la liturgie traditionnelle.

La croissance de la Communauté Saint-Martin est un des révélateurs de cette évolution en un sens conservateur. Fondée en 1976, accueillie en premier lieu par le cardinal Siri dans le diocèse de Gênes (la FSSPX, elle, s’installait en Suisse, la FSSP, plus tard, en Allemagne, l’ICRSP en Italie), elle compte aujourd’hui quelque 100 prêtres et davantage de séminaristes, en très grande majorité français. 11 prêtres ont été ordonnés pour elle en 2020, 26 devraient l’être en 2021.

L’ensemble de ces nouveaux prêtres sont produits par un catholicisme qui a lui-même changé de profil. En 1960, 25% des Français assistaient tous les dimanches à la messe ; 50 ans après Vatican II, 1,8% y assistent encore[iii].

Ce public qui continue à pratiquer et surtout à transmettre le catholicisme de génération en génération est nettement plus « identitaire ». Dans un entretien qu’il a accordé à Marianne, le 17 novembre 2020 (« Manifestations pour les messes – Les autorités catholiques ont l’impression d’être dépassées par leur base conservatrice »), Yann Raison du Cleuziou, enseignant les sciences politiques à l’université de Bordeaux, remarque : « Le profil des pratiquants se recompose sur ceux qui restent et tendanciellement, les plus conservateurs sont ceux qui transmettent le mieux la foi dans leur famille. Les évêques ne peuvent plus ignorer la jeunesse qui en est issue et qui est assez remuante et décomplexée ». Et c’est de cette jeunesse que sont aujourd’hui issues les vocations sacerdotales.

Le même Yann Raison avait publié Une contre-révolution catholique[iv] : les générations qui ont « fait le Concile » se sont usées et largement évaporées et aujourd’hui, dans un catholicisme réduit à un tout petit reste de pratiquants, ceux-ci s’avèrent être en majorité des « conservateurs », au sens où ils ont maintenu une sorte de « conservatoire » encore très vivant. Ce phénomène de résistance catholique de base, explique Yann Raison, a aussi quelques ressemblances avec d’autres mouvements actuels de société, notamment en ce qu’il est populaire – pour éviter de dire populiste –, en réaction contre les « élites » en place, ici contre la hiérarchie catholique.

Ce décalage entre les catholiques d’aujourd’hui et leurs supérieurs naturels se retrouve par le fait entre les séminaristes et leurs formateurs, une telle distorsion étant cependant par nature en train de se réduire et devant continuer à le faire par le jeu de l’accès des générations nouvelles aux postes de responsabilités, mais ceci se produit très lentement et avec de grandes résistances en raison de la prégnance idéologique de « l’esprit du Concile », fût-il interprété de manière conservatrice.

Repenser la formation sacerdotale diocésaine

Il paraît clair que dans un contexte totalement nouveau, la formation de prêtres pour demain ne peut reproduire à l’identique, au moins dans les diocèses, celle des séminaires des années 50 du XXe siècle. Faudra-t-il même reconstituer des séminaires classiques, ou conviendra-t-il au contraire d’imaginer des formations beaucoup plus souples, intégrées aux paroisses et communautés pastorales ?

Quelle que soient les options retenues, il s’agira de permettre une formation pastorale adaptée à une situation d’un catholicisme missionnaire, certes minoritaire, mais appelé à représenter dans la société démocratique contemporaine la colonne vertébrale d’une contre-culture. Le plus important sera d’assurer une très exigeante formation spirituelle et intellectuelle,exigeante en soi et dans sa prise en compte des besoins engendrés par cinquante ans de fausse réforme dans l’Église.

Points indispensables à étudier : histoire critique approfondie du catholicisme depuis la Révolution ; ecclésiologie qui tienne compte des objections que constituent les voies ambiguës de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux ; christologie à l’ère de la décomposition que lui ont fait subir les derniers avatars du modernisme ; étude non édulcorée des fins dernières ; traité De Eucharistia pointant les affadissements concernant la doctrine de la transsubstantiation et surtout du sacrifice sacramentel ; morale matrimoniale hors les théories de gradualité ; etc.

Il faut avoir présent à l’esprit que dans les situations conflictuelles – elles seront exacerbées lors de la mise en œuvre d’une reconstruction – l’adoption d’une position médiane, de « juste milieu », est une puissante et permanente tentation. À l’époque de la « génération Jean-Paul II », cette recherche d’une troisième voie était représentée en France par des séminaires comme ceux de Paray-le-Monial, Aix-en-Provence, Ars, Paris, où refleurissait, dès le diaconat, le strict habit de clergyman. La Communauté Saint-Martin, où l’on est passé de l’habit de clergyman à la soutane, malgré ses atouts, relève aussi, selon toutes les apparences, de cette faiblesse.

Quant à la vie marginale à laquelle sont réduites les communautés vouées à la liturgie traditionnelle, laquelle par sa seule permanence conteste l’évolution de l’Église depuis un demi-siècle, elle leur donne à la fois la force d’une identité catholique très lisible, et le handicap d’une situation de prêtres de seconde zone. L’importante évolution du monde catholique en cours, à condition qu’elle soit canalisée par des évêques, et à la fin par un pape, vraiment réformateurs, devrait conduire ce monde tridentin à passer, avec humilité mais détermination, de l’état de pierre d’achoppement à celui de pierre d’angle de la reconstruction future.

Abbé Claude Barthe


[i] Sur tout cela, voir : Hervé Le Bras et Monique Lefebvre, « Une population en voie d’extinction : le clergé français », dans Population, 1983, 38-2, pp. 396-402.
[ii] https://laportelatine.org/actualites/actualites-eglise/cdq.
[iii] Enquête Ipsos pour La Croix, 12 janvier 2017. Le pourcentage s’est encore récemment abaissé, puisqu’on considère que 30% environ des pratiquants ont cessé de l’être depuis ce qu’il est convenu d’appeler la crise sanitaire.
[iv] Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous, Seuil, 2019.