01/12/2020

Une section Summorum Pontificum dans un séminaire diocésain ou interdiocésain
Faire sa place à la « minorité créative » de l’usus antiquior

Par P. Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé, sjm

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Ces dernières années ont vu la fermeture des séminaires interdiocésains de Lille et de Bordeaux, et le Saint-Siège, via la Congrégation pour le Clergé, semble vouloir encourager les regroupements des séminaristes de plusieurs diocèses dans des structures capables d’assurer une véritable vie communautaire et une formation donnée par des enseignants compétents et expérimentés. Cependant le risque est aussi d’éloigner les séminaristes des Églises locales qu’ils auront à servir et de faire oublier que l’évêque diocésain est le premier responsable de la pastorale des vocations et de la formation de son clergé. Il suffit de lire les canons 232 à 264 du Code de droit canonique de 1983 pour se rendre compte combien l’évêque diocésain a une responsabilité propre et inaliénable.  

Quoiqu’il en soit, la nouvelle Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis, qui date du 8 décembre 2016, et dont on attend encore l’adaptation pour les diocèses de France (sous la forme d’une Ratio nationalis), donne les grandes lignes de la formation spirituelle, doctrinale et pastorale des candidats au sacerdoce diocésain. Le texte insiste particulièrement, en plus des exigences scientifiques et académiques, sur le nécessaire équilibre affectif, relationnel et spirituel des futurs ministres pour devenir tout à la fois des disciples du Christ et des missionnaires de l’Église.

De plus en plus de jeunes ont entendu l’appel de la vocation dans le cadre de familles et de communautés attachés à la forme extraordinaire du rite romain. Beaucoup rejoignent alors des instituts ou des sociétés célébrant cette forme et ayant un apostolat au service de ces fidèles et ayant leur propre maison de formation. Mais un certain nombre aussi désire se consacrer à un mystère pastoral « classique » au service des paroisses, des familles, des aumôneries, des mouvements, tout en restant fidèles à la grâce reçue de la liturgie traditionnelle qu’ils entendent célébrer sans exclusive. Ils ont aussi fait l’expérience que celle-ci n’est pas un obstacle mais bien au contraire un soutien dans l’évangélisation de la société contemporaine.

L’enjeu est aussi pour les évêques de ne pas laisser dans un ghetto les fidèles attachés à la forme extraordinaire. En effet ceux-ci auront pour eux des prêtres, des œuvres, des institutions, des écoles, des mouvements, des vocations, des séminaires… De plus, c’est revenir à l’esprit même du motu proprio Summorum Pontificum de 2007, qui incite à faire de la forme extraordinaire une réalité paroissiale. Dans cette hypothèse, il faut former des séminaristes en vue de ce ministère « préférentiel » mais non exclusif.

On peut donc imaginer qu’au sein d’un séminaire diocésain ou interdiocésain on puisse faire une place à cette réalité ecclésiale qui constitue certainement une « minorité créative » pour reprendre l’expression du pape émérite Benoît XVI.

Quatre propositions concrètes peuvent être faites :

a) La vie liturgique au séminaire

Il semble évident que les séminaristes se reconnaissant de cet esprit doivent pouvoir bénéficier d’au moins une partie de l’office chantée ou récitée selon l’usus antiquior : par exemple vêpres et complies. On pourrait aussi imaginer une messe sur deux célébrée selon la forme extraordinaire. Si les supérieurs ne conçoivent pas de célébration pour une seule partie du séminaire, on pourrait alterner forme ordinaire en français, forme ordinaire en latin, forme extraordinaire, le tout pour l’ensemble des séminaristes.

La formation liturgique devrait être plus approfondie doit être continue durant toutes les années de séminaire avec le souci d’une formation pratique à l’essentiel du cérémonial et des rubriques de la célébration de tous les sacrements et des sacramentaux.

b) La formation doctrinale

Ce qui devrait être la norme pour tous les séminaires du point de vue du contenu de la formation ne se rencontre plus guère que dans les séminaires ou maisons de formation Ecclesia Dei. Il faudra donc chercher à appliquer enfin les différentes directives données par la Congrégation pour l’Éducation Catholique dans une perspective clairement « restaurationniste » jusqu’en 2013, du temps où elle avait en charge la formation des séminaires (à propos de l’enseignement philosophique, de la formation théologique, de l’étude des Pères, de la spiritualité, de la théologie mariale, de la propédeutique,  textes dont la plupart ne sont qu’en italien sur le site du Saint-Siège !).

Il faut insister sur la place centrale de saint Thomas. Si une petite introduction historique et théologique est très utile, on veillera surtout à initier les séminaristes à la méthode de saint Thomas par l’étude des textes eux-mêmes. De ce point de vue, un travail en séminaire d’études pourrait se révéler fructueux à coté de cours plus magistraux. C’est une bonne méthode pour travailler ensemble à résoudre les problèmes doctrinaux et pratiques qui se posent aujourd’hui.

L’expérience montre que la question du salut (qui, toujours d’après le décret conciliaire sur la formation des prêtres Optatam totius, doit faire l’objet d’un enseignement préalable, ceci afin d’unifier l’ensemble de la formation ecclésiastique) et l’approfondissement du mystère du Christ doivent avoir une place centrale dans l’enseignement donné au séminaire.

c) La spiritualité et le style de vie

L’éducation à une véritable ascèse est peut-être ce qui manque le plus dans la formation aujourd’hui. J’entends ascèse comme exigence concrète d’une spiritualité solide et enracinée et d’une claire perception des difficultés très concrètes que le prêtre rencontrera dès le début de son ministère. On peut faire une analogie avec ce qui est vécu (ou devrait être vécu) dans les instituts séculiers : le fait de vivre une véritable consécration dans le monde sans soutien visible et matériel (à la différence des religieux qui bénéficient d’une vie commune et d’une organisation concrète de la vie qui, normalement, garantit la priorité donnée au développement de la vie spirituelle) exige une formation initiale extrêmement structurante.

Sauf qu’un institut séculier a toujours une spiritualité propre, sinon il ne pourrait pas exister. Pour des séminaristes Summorum Pontificum, il serait bon de dégager quelques thèmes privilégiés plus généraux : spiritualité de la messe et de la liturgie ; se nourrir de ce que l’on célèbre ; le Christ grand prêtre et bon pasteur ; être dans le monde sans être du monde ; l’apôtre aujourd’hui… Là encore il est possible d’emprunter tant à l’École française de spiritualité qu’au renouveau missionnaire du XIXe siècle comme des années 30-50 du siècle dernier.

La promotion d’un certain style de vie doit encourager le pratique des vertus ordinaires qui manquent parfois aux ministres sacrés selon ce que soulignait déjà en son temps Optatam totius : politesse, cordialité, patience, bonté, magnanimité, simplicité, tant à l’égard des confrères que des fidèles. Par ailleurs, on les encouragera à adopter une véritable discipline de vie quant à l’usage des moyens de communication sociale, privilégiant toujours la lecture et la réflexion et usant avec parcimonie de la radio, de la télévision et d’Internet. L’exigence intellectuelle, la rigueur du discernement, l’esprit de discernement, la capacité à évaluer de façon critique les différentes pastorales mises en œuvre depuis des décennies, la culture classique sont les meilleurs armes contre l’invasion de l’affectivité, du ressenti, du subjectivisme, de l’infantilisme enfin, qui sont le stade ultime, si je puis dire, du volontarisme et de la fascination qu’exercent sur les clercs et les laïcs engagés les différentes idéologies dures ou molles qui sévissent en cycles réguliers et successivement depuis la fin des années 60 : le tout politique ; le tout pédagogique ; le tout psychologique ; le tout communication ; le tout coaching et management ; le tout écologique et développement durable…

Pour les séminaristes Summorum Pontificum le port de l’habit ecclésiastique devrait être autorisé de façon permanente y compris dans les apostolats dès l’admission et obligatoire pour tous les actes de culte et les exercices communautaires de piété dès la première année de philosophie.

d) La formation pastorale

Il est bien évident que notre proposition rencontrera bien des objections, la principale étant sans doute de contribuer à une vision cléricale du ministère. Mais le moment est venu aussi de se demander si, dans un monde absolument déchristianisé et ignorant, l’irruption de ce modèle de prêtres, très loin des superstructures ecclésiales d’autant plus lourdes que ses animateurs se font de plus en plus vieux et de plus en plus rares, ne présente pas une provocation, un appel, une question, une interrogation ? Il faut donc former des pasteurs suffisamment libres par rapport à des manières de faire et d’organiser la vie ecclésiale qui, à moyen terme, n’apportent rien, pas un enfant de plus au catéchisme, pas un catéchumène adulte, et qui soient des voltigeurs de la nouvelle évangélisation, enracinés spirituellement et doctrinalement, structurés comme de l’intérieur par la liturgie traditionnelle, donnant la priorité aux contacts, que ce soit avec les fidèles ou avec ceux qui leur sont confiés pastoralement et à qui ils montreront le chemin de l’église, et par là, le chemin du Ciel.

P. Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé, sjm

Jean-Jacques Olier : la réforme du sacerdoce par l’eucharistie

L’un des plus grands maîtres de ce que l’on nomme, depuis Henri Bremond, l’École française de spiritualité, Jean-Jacques Olier (1608-1657), curé de Saint-Sulpice, a été l’un des artisans les plus efficaces en France de la réforme voulue par le Concile de Trente pour les prêtres et les fidèles. Le prêtre doit se consumer en adoration devant l’eucharistie. Le terme de sa vocation est l’eucharistie, dont il doit nourrir sacramentellement et spirituellement les fidèles, pour les faire participer à l’unique louange du Père, celle assumée par Jésus-Christ. « C’est cette conviction sur le prêtre qui a fait d’Olier l’un des plus efficaces réformateurs du clergé français et par là l’un des éducateurs de la spiritualité occidentale des XVIIe-XXe siècles – à travers Jean-Baptiste de La Salle, Louis-Marie Grignion de Montfort, les Pères Libermann et Faber, Mgr Gay et le cardinal Mercier » (Irénée Noye, article « Jean-Jacques Olier », Catholicisme, Letouzey et Ané, 1983, col. 61).