01/05/2023

Un catéchisme qui enseigne le contenu de la foi !

Par l'abbé Claude Barthe

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Une vraie réforme de l’Église passera nécessairement par un effort considérable pour rétablir un enseignement du catéchisme catholique, non seulement aux enfants et aux nouveaux baptisés, ou encore aux « recommençants » qui renouent avec l’Église, mais aussi à l’ensemble des fidèles, dont l’ignorance des rudiments de la doctrine chrétienne est souvent abyssale.

Dans des pays comme la France le catéchisme a longtemps concerné la presque totalité de la population même non pratiquante, 80% des enfants suivaient les cours : la conclusion des années de catéchisme était la cérémonie de communion solennelle (profession de foi) à l’âge de 11-12 ans que pratiquement toutes les familles se faisaient un devoir de fêter, quel que soit leur degré de catholicisme. Ainsi, le catéchisme était « l’œuvre par excellence » selon Mgr Dupanloup, une œuvre missionnaire en continu. Même si les enfants de parents non pratiquants cessaient eux-mêmes de pratiquer après cette cérémonie, ils avaient tous reçu une instruction qui rendait à chacun la religion familière.

Le trou noir de l’après-Concile

En France, la grande rupture dans la pratique dominicale en 1965, à en croire Guillaume Cuchet dans Comment notre monde a cessé d’être chrétien que nous avons plusieurs fois sollicité[1], s’est manifestée par le fait, enregistré par le chanoine Boulard, qu’une bonne partie des jeunes de 15-24 ans, enfants de catholiques pratiquants, ont quant à eux cessé de pratiquer. Mais la rupture dans le nombre des enfants catéchisés a mis un peu plus de temps à être ressentie. Elle a tenu au fait que les parents non pratiquants ont cessé d’envoyer leurs enfants au catéchisme, en partie découragés par les prêtres eux-mêmes qui dénonçaient l’« hypocrisie » des communions solennelles immédiatement suivies de l’abandon de la pratique. Ensuite, au fur et à mesure que s’est resserré le nombre des pratiquants, pour arriver aujourd’hui à moins de 2% de la population, le nombre des catéchisés s’est réduit en conséquence et même encore plus vite, dans la mesure où la majorité de ceux qui continuent à pratiquer sont désormais des grands-parents.

En 1982, 54% des enfants de 11 à 12 ans étaient encore inscrits au catéchisme. Aujourd’hui d’ailleurs, une bonne part des parents qui demandent encore une instruction catéchétique pour leurs enfants les en retirent généralement après la première communion (8-10 ans). Si en 1982, 60% des enfants catholiques de 8 à 11 ans étaient encore inscrits au catéchisme, en 2016-17, ils n’étaient que 16%. Tous les témoignages urbains et ruraux, concordent : jamais le nombre des catéchisés n’a été aussi bas. Qui plus est, la fréquentation des cours par les enfants inscrits est épisodique et s’accompagne souvent d’une assistance à la messe dominicale plus épisodique encore. Elle ne produit qu’un bagage de connaissances si faible que, dans bien des cas, les enfants « catéchisés » ne connaissent même pas les prières élémentaires.

Mais en outre, la grande faillite catéchétique a été celle du contenu. Elle a commencé à l’époque de l’emblématique Catéchisme hollandais de 1966. L’encadrement du « renouveau », à la fin des années 70, a aggravé la crise par la rédaction de parcours (le plus fameux d’entre eux étant Pierres vivantes de 1981[2]). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le résultat fut analogiquement semblable à celui du nouvel enseignement de l’histoire et des matières littéraires dans les lycées et collèges : l’instillation d’idées fausses peut-être, mais surtout du néant culturel. Or, il s’agissait ici du contenu du Credo...

Il ne faut d’ailleurs pas penser que les manuels qu’on remplaçait alors étaient d’un autre âge : un gros effort avait été fait (non sans quelques dérives annonciatrices, il est vrai[3]) pour varier leur présentation, ajouter des notions de liturgie et des connaissances directes d’Écriture Sainte, et surtout pour aider le travail des prêtres-catéchistes par tout un matériel de fiches et guides pédagogiques[4].

Mais les nouveaux instruments mis en service après le Concile ont suivi le courant général de réforme de la pédagogie : séances ludiques parsemées de « dialogues » entre catéchistes et enfants, se concluant par des « liturgies » devenues un lieu privilégié d’inventivité extrême, près de 90% des catéchistes étant désormais recrutés chez des laïcs dont les connaissances élémentaires laissent plus qu’à désirer, ou même parfois ont été déformées par des sessions fort peu exigeantes du point de vue de l’orthodoxie. Le résultat n’est d’ailleurs pas tant l’hétérodoxie – sauf que les dogmes « durs », péché originel, enfer, passent à la trappe – que le vide de connaissances.

Aujourd’hui même, le site de L’Église catholique en France, explique benoîtement : « Au catéchisme, les moyens les plus divers sont mis en œuvre pour faire connaître Jésus aux enfants. Un jour, ils étudient un texte d’Évangile et l’illustrent eux-mêmes. Un autre jour, ils regardent un montage audio-visuel (une vidéo, un DVD) ils miment un épisode de la Bible, la découvrent aussi par le jeu, ils rencontrent d’autres croyants, ils écoutent l’histoire de la vie d’un Saint. Ou encore ils participent à une célébration et prient ensemble. Le catéchiste les accompagne dans leurs découvertes, les écoute, lance le débat, répond aux questions, les invite à prier. »

Sans doute y a-t-il une complaisance maligne dans l’exhibition de l’ignorance religieuse des catholiques par les médias : on en vient à croire que seuls les agents des instituts de sondages consultent encore le catéchisme afin de démontrer par leurs questions que les catholiques interrogés ne connaissent ni le catéchisme ni le Credo : en effet seulement la moitié des personnes questionnées se disant catholiques croient que Jésus-Christ est le Fils de Dieu ! Saint-Simon s’amusait dans ses Mémoires de cette grande dame qui pensait que Dieu « y regardait à deux fois » avant de condamner une personne de qualité lors du jugement particulier. Combien de catholiques savent aujourd’hui ce qu’est le « jugement particulier » – ceci pour la science – et admettent la possibilité d’une éternelle condamnation – ceci pour la foi.

Il s’est creusé un trou noir de deux et bientôt trois générations qui n’auront pas été catéchisées, en France spécialement, sinon sous la forme d’occupations récréatives et de gentils découpages organisés par des dames pleines de bonne volonté mais incompétentes, s’appuyant sur des parcours au mieux totalement insipides. « Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes » (Matt 5, 13). C’est d’ailleurs toute la religion qui est socialement piétinée.

Ce constat d’absence de transmission des choses de la religion, se fait en surimpression d’un autre constat, qui surpasse dans l’Église de France toutes les autres préoccupations et nourrit toutes les angoisses : elle est en train de devenir une Église sans prêtres, et donc, entre autres, une Église dépourvue de ces hommes normalement désignés pour enseigner la doctrine chrétienne.

La tentative de « retour » des années de restauration

Un double événement, déjà bien lointain, avait marqué le début d’une tentative de « retour » catéchétique. C’est en 1983 que cardinal Ratzinger avait répété à Notre-Dame de Fourvière et à Notre-Dame de Paris, les 15 et 16 janvier, une conférence dans laquelle il affirmait que le genre littéraire du catéchisme, avec sa synthèse fondée sur le commentaire du Credo, des sacrements, des commandements et du Pater (à savoir le schéma du Catéchisme du Concile de Trente et du Catéchisme de saint Pie X), n’était pas dépassé. « Ce fut une première et grave faute, disait-il, de supprimer le catéchisme et de déclarer « dépassé » le genre même du catéchisme. […] Qu’y avait-il derrière cette décision erronée, hâtive et universelle ? Les raisons en sont variées et jusqu’à présent à peine examinées. Elle est d’abord sûrement à mettre en rapport avec l’évolution générale de l’enseignement et de la pédagogie, qui se caractérise elle-même par une hypertrophie de la méthode en comparaison du contenu des diverses disciplines. » Il est patent que cette absorption du contenu par la pédagogie est encore le défaut majeur, même en paroisses classiques.

Il fallut cependant attendre 1985 pour qu’au terme d’une assemblée extraordinaire du Synode des évêques, assemblée agitée par les remous de l’Entretien sur la foi du même cardinal Ratzinger qui venait de paraître, fût décidée la mise en chantier d’un catéchisme universel[5], le Catéchisme de l’Église catholique (CEC). Un an avant sa parution, en 1991, les évêques de France, piqués par quelque mouche restauratrice, avaient publié eux aussi un Catéchisme pour adultes[6], bien oublié (il faut dire que l’hebdomadaire La Vie avait parlé de « modèle catéchétique dangereux » et de « monument funéraire » du mouvement catéchétique français !) Il était d’une qualité bien supérieure à ceux contemporains des évêques allemands et des évêques belges, avec son plan globalement classique : il parlait de l’existence des anges et démons, du péché originel comme péché d’origine, de la virginité perpétuelle de Marie jusque dans l’enfantement, de l’authenticité des miracles du Christ, de la continuité entre son corps mortel et son corps glorieux, de la résurrection comme fait d’histoire et objet de foi, de l’expiation souffrante du sacrifice du Christ, qui a valeur de satisfaction, des sacrements, signes sensibles et efficaces de l’action du Christ et institués par lui, de l’Eucharistie, sacrifice d’expiation et de propitiation pour les péchés, du non-accès des divorcés « remariés » à la communion sacramentelle.

Il avait cependant fallu attendre 30 ans après l’ouverture du Concile pour que de telles parutions soient redevenues possibles ! Encore n’étaient-ce que des catéchismes pour adultes ou pour formateurs, qui n’ont guère engendré des manuels pour les enfants. Un Compendium, une version abrégée du CEC, a été publié en 2005. Certains points du CEC soulevaient des problèmes, les mêmes que les textes du Concile : le Catéchisme de l’Église catholique reprenait les points discutés de Vatican II, œcuménisme, liberté religieuse, certes en les encadrant au maximum, à la manière de ce que Benoît XVI nommera « l’herméneutique du progrès dans la continuité. »

Des tentatives à certains égards louables, mais s’avérant à la fin insuffisantes, se sont longtemps adossées aux efforts ratzinguériens. Dans le diocèse de Paris, le cardinal Lustiger, dont l’épiscopat a duré 24 ans (1981-2005), correspondant à peu près au règne de Jean-Paul II (1978-2005), voulait, comme il le disait, « siffler la fin de la récréation », sans cependant revenir dans les chemins traditionnels. Il encouragea dans ce domaine une entreprise d’édition systématique de nouveaux manuels pour tous âges et niveaux, avec des instruments comme : Pour grandir dans la foi[7], Connaître la foi catholique[8], etc.

Réintégrer dans les paroisses ordinaires le catéchisme hors les murs

Mais ces tentatives furent manifestement insuffisantes. La conservation de la catéchèse traditionnelle s’est faite hors des circuits officiels. Il est en allé de l’enseignement du catéchisme traditionnel comme de la célébration de la messe d’avant le Concile. Il faut constater qu’en France, comme dans la plupart des pays d’Europe, la transmission de la foi qui subsiste s’est longtemps faite par des canaux marginaux, et au prix, pour certains parents, de véritables parcours du combattant pour assurer aux enfants un catéchisme catholique.

Le catéchisme en famille et en regroupements de familles s’est développé, avec des rééditions sauvages du Catéchisme des diocèses de France de 1947 et de l’ancienne Miche de Pain de 1935.

Se couvrant de la réaction que représentait le Catéchisme de l’Église catholique, les résistances contre la ligne générale postconciliaire se sont affermies à partir des années 90. Pierre Lemaire, directeur des éditions Téqui, avait d’ailleurs mis en circulation en 1993 un volumineux Livre Blanc, qui regroupait de nombreux documents et spécialement des correspondances avec les évêques français à propos de leur écrasante responsabilité dans l’immense faillite de l’enseignement des rudiments de la foi aux enfants de France. Un évêque, Mgr Lagrange, évêque de Gap, osa publier un clair et pédagogique résumé de la foi chrétienne : Je crois[9]. Mais surtout, les instruments traditionnels ont continué à être édités ou bien ont été renouvelés hors des circuits officiels : on peut noter, entre autres, la poursuite ininterrompue de publications par les éditions Téqui, les éditions de la Fraternité Saint-Pierre (Les trois blancheurs, sur quatre cycles), les outils mis à disposition par Transmettre, les rééditions en Italie du Catéchisme de saint Pie X, pour lequel la revue Trenta Giorni, du Mouvement Communione e Liberazione faisait campagne active[10].

Ainsi tout un réseau de catéchismes traditionnels s’appuie aujourd’hui sur le réseau des liturgies traditionnelles, ou des liturgies « retraditionalisées », dans des lieux non paroissiaux, dans de nombreuses écoles catholiques hors contrat, et parfois aussi dans des écoles catholiques sous contrat et dans des paroisses.

Sans vouloir pousser les Dicastères romains au crime, ou à un crime supplémentaire, on peut noter qu’une des faiblesses de l’offensive de Traditionis custodes a été en s’en prenant à la liturgie traditionnelle et en lui déniant sa qualité de « lex orandi » d’omettre de s’attaquer à un des véhicules privilégiés de la « lex credendi », les catéchismes traditionnels…

Pour une vraie réforme, de même que s’impose l’usage de la liturgie traditionnelle, colonne vertébrale de la restauration de la liturgie romaine, s’imposera la réintégration, opportunément aménagée du point de vue pédagogique, du catéchisme traditionnel. Ainsi l’enseignement de la foi, relégué à la périphérie, reviendra au centre.

Abbé Claude Barthe


[1] Seuil, 2018.

[2] Pierres vivantes. Recueil catholique de documents privilégiés de la foi (Éditeur Catéchèse 80, 1981). Pierres vivantes se voulait un ensemble de documents avec lequel les autres « parcours » devaient être utilisés, le tout en conformité d’un Texte de référence voté par les évêques de France, lors de leur assemblée de 1979. Le recueil Pierres vivantes sera remanié en 1985 puis en 1994.

[3] Le chanoine Joseph Colomb, directeur national du Centre National de l’Enseignement Religieux, avait été démis à la suite d’une intervention du Saint-Office, en 1957.

[4] Et cela de longue date, depuis les célèbres volumes du Chanoine Quinet : Carnet de préparation d’un catéchiste,  Spes, 1928, ou encore le Catéchisme biblique (Cerf, 1958), traduit de l’allemand.

[5] L’idée était dans l’air du temps. Le projet qui deviendra proprement la grande œuvre du cardinal Ratzinger avait été anticipé par le cardinal Silvio Oddi, préfet de la Congrégation pour le Clergé, qui avait présenté à l’assemblée du Synode le catéchisme très classique qu’il avait fait réaliser.

[6] Catéchisme pour adultes. L’Alliance de Dieu avec les hommes, Centurion, Cerf, Desclée, etc., 1991.

[7] Le Sénevé/Cerp, 2000.

[8] Le Sénevé/Cerp, 2000, avec une préface du cardinal Lustiger.

[9] Paroi-Services, 1998.

[10] Dans un entretien à Trenta Giorni d’avril 2003, le cardinal Ratzinger tenait sur ce catéchisme des propos qu’on retrouvera à propos de la messe tridentine à l’occasion de Summorum Pontificum : « La foi en tant que telle est toujours identique. Ainsi, même le Catéchisme de saint Pie X conserve toujours sa valeur. » Il ajoutait tout de même : « En revanche, la façon de transmettre le contenu de la foi peut changer », ce qui n’est pas contestable, mais lui permettait de justifier le nouveau Compendium.