01/05/2023

Une catéchèse de l’appauvrissement de la foi…

Par l'abbé Jean-Marie Perrot

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Un des constats récurrents des enquêtes sociologiques sur le catholicisme contemporain dans les pays occidentaux, et singulièrement en France, est celui de sa fragmentation. Les réunions pastorales de prêtres d’un même secteur, doyenné ou diocèse, donnent à entendre un diagnostic identique, établi de manière empirique : la grande majorité de leurs paroissiens vivent leur foi dans un cercle assez restreint et homogène, ne rencontrent pas de baptisés différents d’eux, se regroupent par affinités. Seules, les zones rurales conservent concrètement la primauté du maillage territorial des paroisses, bien que ce soit justement là qu’il soit le plus distendu, le plus difficile à tenir… moins, d’ailleurs, par vertu ou sens ecclésial que parce qu’on ne peut, souvent, pas faire autrement. Dans les villes de quelque importance, des logiques électives président à la constitution des communautés, au sein des paroisses ou transversalement à elles. Quoi qu’il en soit de la multiplicité des motifs qui provoquent ou renforcent cette parcellarisation, l’ensemble témoigne d’un affaiblissement de la structure ecclésiale, jusque dans l’annonce de la foi.

La catéchèse en est un bon exemple. Il est même le lieu d’un redoublement de l’interrogation : en effet, les parcours, avec leurs particularités, ne reproduisent-ils pas la fragmentation signalée du catholicisme et donc de la foi ? Quel est, au final, le socle commun à tous ?

La réflexion que nous proposons n’a aucune prétention à l’exhaustivité des parcours catéchétiques ;  les trois présentés ici ont été choisis sur la base d’un seul critère : nous les avons reçus pour les utiliser, deux directement, le troisième par procuration (conseils prolongés prodigués à une catéchiste). Peut-être peut-on dire qu’ils ont en commun de nous situer dans un catholicisme plutôt traditionnel ou classique.

Cette réflexion ne prétend pas davantage proposer une analyse critique complète desdits parcours. Plus proche du terrain, elle se fonde sur leur usage, comme catéchiste.

S’il est une volonté mise en œuvre ou au moins clairement énoncée par tous aujourd’hui dans la catéchèse, c’est sans aucun doute celle d’une présentation complète et intégrale. Mais… de quoi ? demandera-t-on aussitôt après notre hésitation : de la foi, pense-t-on pouvoir répondre simplement. Or, on le sait, la notion même de foi peut relever d’approches sensiblement différentes, particulièrement prégnantes aujourd’hui ; ces approches qui, justement, structurent ces parcours[1] et compartimentent le paysage catholique. Expliquons-nous.

1er parcours : l’exposé de la doctrine, à l’ancienne

Dans les communautés traditionnelles où le manuel prend la forme de questions-réponses, l’accent est mis sur la doctrine et son exposé normatif, de plus en plus détaillé et précis, déclinant les articles successifs du Credo, les commandements, les paroles du Notre Père, les sacrements. Au-delà de la forme pédagogique (questions-réponses, apprentissage par cœur), on se trouve de plain-pied dans ce que doit être « spécialement » la catéchèse, selon le Catéchisme de l’Église catholique : « une éducation de la foi des enfants, des jeunes et des adultes, qui comprend spécialement un enseignement de la doctrine chrétienne, donné en général de façon organique et systématique, en vue d’initier à la plénitude de la vie chrétienne » (n°5). Le catéchisme est en quelque manière un décalque du Catéchisme lui-même et plus encore du Compendium : « L’accent de ce Catéchisme porte sur l’exposé doctrinal » (n°23).

La plupart du temps, ce qui peut entourer cet exposé doctrinal, de telle sorte qu’il atteigne son but – « initier à la plénitude de la vie chrétienne », est laissé aux familles ; ou, plus exactement, le catéchisme est considéré comme une délégation donnée au prêtre, à l’établissement scolaire parfois, pour l’enseignement de la doctrine ; la vie de prière, la morale et la liturgie demeurant dans le cadre de la famille, de la responsabilité première et effective des parents. Au final, le catéchisme se pense comme une œuvre auxiliaire de familles catholiques.

2ème parcours : d’abord la charité

Or, le présupposé d’un milieu (familial et associé à elle) catholique porteur n’est pas toujours posé, ce présupposé qui permet de circonscrire l’activité catéchétique à l’exposé de la doctrine. Il l’est même rarement, hors de certains cercles restreints. La catéchèse se trouve alors (ou se pense) investie d’une mission plus vaste, une initiation « à la plénitude de la vie chrétienne », pour reprendre des termes déjà rencontrés dans le Catéchisme, « la maturation de cette foi, son enracinement dans la vie et son rayonnement dans le témoignage » (n°23).

La préférant à un exposé théorique, nous souhaitons ici simplement présenter une situation dans laquelle nous nous sommes trouvé récemment. Elle nous paraît représentative de la différence d’accent dans l’annonce de la foi que nous souhaitons mettre en évidence.

Dans un groupe de catéchisme paroissial, que l’auteur de ces lignes a accepté d’animer, avec le manuel qu’on lui a proposé (« Dieu nous rassemble » du parcours « Je veux te connaître », du diocèse de Tarbes et Lourdes), la leçon sur le Jeudi-Saint, centrée sur le lavement des pieds, aurait dû, du point de vue de l’enseignement de la doctrine (« à retenir »), se conclure par l’apprentissage de deux courtes questions : « Que fait Jésus ? Selon ce que dit Jésus, qui est le plus grand parmi nous ? », les réponses devant être remplies par les enfants. Nous avons préféré diriger ceux-ci vers la page précédente où, dans un parallèle avec l’hymne aux Philippiens (chap. 2), sont rappelés des termes comme Trinité, Incarnation, Nativité, Crucifixion, Résurrection ; ce dont le lavement des pieds est justement la figure.

Dans les deux parcours – celui-ci et celui plus traditionnel –, le contenu doctrinal est donc identique, jusque dans les termes. Toutefois, il nous semble possible de noter que, pour les rédacteurs de ce parcours, la foi, dans ce chapitre, comme de manière générale, est envisagée principalement du côté de la charité (et des autres vertus) en laquelle elle doit se déployer. On le comprend si l’on se replace dans la perspective éducative d’ensemble mentionnée plus haut. Rien que de très catholique, d’ailleurs, dans cette ouverture de la foi à la charité. Et pour guider la réflexion et inviter à la pratique, le chapitre contient une page d’exemples concrets de services que l’enfant peut quotidiennement rendre, et le chapitre suivant une page sur des saints qui se sont donnés totalement au service de Dieu et du prochain, afin, sans doute, de ne pas réduire la charité à être « gentil » avec maman ou « partageur » avec le camarade qui n’a pas de goûter.

Quoi qu’il en soit de cette légitimation, si l’on se place du côté de l’auditeur, de celui qui, ayant écouté et retenu, proclamera la foi devant l’Église (profession de foi) et l’annoncera dans le monde, on ne manque pas de remarquer que les enfants s’exprimeront différemment, plus pauvrement.

3ème parcours : d’abord la relation personnelle avec le Christ

Le Catéchisme de l’Église catholique, citant le Catéchisme Romain du concile de Trente, énonce à la fin des paragraphes initiaux sur la catéchèse : « Toute la finalité de la doctrine et de l’enseignement doit être placée dans l’amour qui ne finit pas. Car on peut bien exposer ce qu’il faut croire, espérer ou faire ; mais surtout on doit toujours faire apparaître l’Amour de Notre Seigneur afin que chacun comprenne que tout acte de vertu parfaitement chrétien n’a pas d’autre origine que l’Amour et pas d’autre terme que l’Amour » (n°25).

Cette citation ouvre le Petit guide du catéchiste du parcours « Viens, suis-moi », issu de l’Institut Notre-Dame de Vie ; parcours qui, à la suite du fondateur dudit institut, le Bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus,  la traduit comme une primauté de l’éveil du désir de Dieu, de l’expérience intérieure du Christ, de sa présence et de sa miséricorde. La place centrale donnée, en chaque séance, à ce qui ressemble à une oraison guidée, le signale fortement. Dans la même ligne, pour le contenu doctrinal, le retour sur la séance précédente « laiss[e] les enfants s’exprimer sur ce qu’ils ont gardé dans leur cœur ».

Voilà une troisième face de la foi, que le parcours qualifie de « foi-engagement », à la suite du Père Marie-Eugène, terme qu’on n’entendra évidemment pas avec les accents donnés dans le cadre de l’Action catholique, mais à la lumière de l’école carmélitaine.

* * *

Certes, dans les jeunes générations, quand les enfants ont fait place aux lycéens et aux jeunes adultes, des lieux de rencontre existent ; et une conscience commune d’être catholique prime : ils sont moins sectaires que les anciens, dit-on rapidement. Pour autant, ces différences d’enseignement de la foi n’ont pas disparu.

Dans l’orbite traditionnelle, le pèlerinage de Chartres à la Pentecôte est l’un des ces lieux privilégiés de rencontre. Il suffit, durant ces trois jours de marche, d’avoir parlé avec les uns et les autres pour noter une diversité, et combien certains sont loin d’un catéchisme traditionnel, d’une charpente doctrinale de la foi. « Ce n’est pas le principal », diront certains, Ecclesia supplet

Les organisateurs paraissent penser quelque peu différemment, qui préparent très soigneusement un ensemble cohérent et roboratif d’enseignements et de méditations, préparent les chefs de chapitre à leur diffusion fidèle, mobilisent le plus grand nombre de prêtres, de séminaristes et de religieuses pour en garantir la compréhension et en résoudre les questions. L’ambition est constante d’année en année. Sans doute parce que, derrière, se trouve la conviction que la doctrine, la vie intérieure, la charité et les vertus se répondent les unes aux autres, et que nulle ne saurait être négligée, sans porter préjudice aux autres. Il serait heureux que l’exemple soit suivi sur un plan plus étendu.

Abbé Jean-Marie Perrot


[1] Il nous semble que cette différence d’approche de la vertu de foi (cette vertu surnaturelle, pour parler comme l’ancien catéchisme, qui est un don de Dieu, par lequel nous croyons fermement, avec une parfaite soumission en Dieu, et ce qu’il a révélé à son Église et qu’elle nous propose à croire) est plus discriminante que la différence de place accordée à la Bible, même si les lignes biblique et doctrinale peuvent ne pas être directement parallèles. Mais cela est une question récurrente et inévitable de la théologie, quelle qu’elle soit.